Il y a un an, le 20 novembre 2013, peu après minuit, le chauffeur de taxi montréalais Ziad Bouzid était tué d'une balle dans la tête dans le quartier Côte-des-Neiges.

La police a arrêté son dernier client, Michel Duchaussoy, dans la soirée du lendemain. Il a été accusé de meurtre non prémédité. Crime raciste en pleine crise de Charte des valeurs ? Vol qui a mal tourné ? Fureur meurtrière ?

Un enquêteur du SPVM l'a cuisiné durant plus de cinq heures pour y voir clair. La Presse vous raconte heure par heure le déroulement de l'interrogatoire déposé en cour le mois dernier. Incursion dans la tête d'une bombe à retardement.

Photo courtoisie

Michel Duchaussoy      

PREMIÈRE HEURE: VIE DE MISÈRE

21 novembre 2013. 23 h 55. Michel Duchaussoy dort dans une cellule du centre opérationnel Est du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le sergent-détective François Petit le réveille et lui demande de le suivre dans la salle d'interrogatoire.

Il est 0 h 21 lorsque l'interrogatoire débute. Le policier du SPVM prend un ton affable. Il lui offre à boire et à manger, puis s'assure que le quadragénaire a bien compris quels ses droits.

« Soit que je parle, soit que je ferme ma yeule », lui répond le détenu d'une voix fatiguée. Duchaussoy porte une combinaison blanche qu'il a dû enfiler après la saisie de ses vêtements.

L'homme de 43 ans est le principal suspect du meurtre du chauffeur de taxi montréalais Ziad Bouzid, survenu 48 heures plus tôt.

Les cinq heures suivantes passées en compagnie de l'enquêteur Petit seront déterminantes. Le suspect va-t-il s'enfermer dans un mutisme ? Déformer la réalité à son avantage ? Tout déballer ?

« Ça fait trois semaines que je n'ai pas grand nuits de sommeil », souligne Duchaussoy comme pour s'excuser de s'être endormi dans sa cellule.

Le policier lui demande s'il peut le tutoyer.

« Je te connais un peu, Michel. J'ai eu la chance de rencontrer du monde proche de toi [...] J'aimerais ça que tu me parles de toi un peu. »

Le ton est donné.

Sans se faire prier, le suspect lui déballe son enfance difficile. Benjamin d'une famille de six enfants, son père les a abandonnés quand il avait 5 ou 6 ans. « Mon père a eu deux autres enfants avec sa deuxième femme. Après ça, mon père a tué sa deuxième femme par arme à feu. J'avais peut-être 10-11 ans », lance-t-il.

Il se plaint d'avoir été victime de railleries à l'école. « Les parents ne voulaient pas que leurs enfants jouent avec moi. »

« J'ÉTAIS PAS MAL MOINS PIRE QUE BIEN DU MONDE QUE JE CONNAIS »

La famille vivait à Saint-Pierre, qui fait aujourd'hui partie de l'arrondissement de Lachine. Sa mère était sans emploi. Six bouches à nourrir. Elle aurait souvent battu son plus jeune « à coups de cuillère de bois » au point qu'il n'arrivait plus à s'asseoir.

La relation avec ses frères et soeurs était mauvaise - tous jaloux de leur mignon petit frère blond aux yeux bleus, toujours selon sa perception des choses.

Ça ne s'est pas amélioré à l'âge adulte. Il a lâché l'école très jeune. Il a travaillé un temps comme « chauffeur de lift », puis comme « homme de ferme ». Il a eu du mal à garder un emploi. Il a rencontré une femme avec qui il a eu deux garçons. Ils ont vécu un temps à Québec. Ils ont fini par se séparer. Duchaussoy est revenu vivre à Montréal.

Ses fils, désormais adultes, n'ont plus aucun contact avec lui.

Il y a une dizaine d'années, Duchaussoy a fait une tentative de suicide.

Aujourd'hui, il laisse entendre que c'est en raison de sa situation familiale. Son père s'est donné la mort en prison en 1991, sept ans après avoir été condamné à perpétuité pour le meurtre de sa seconde femme.

« Tu ne l'as pas eu facile ? », insiste l'enquêteur.

« Non, pas vraiment. Je ne veux pas dire que je suis meilleur qu'un autre, mais j'étais pas mal moins pire que bien du monde que je connais. » Il se vante de ne pas avoir eu de dossier judiciaire avant l'âge de 26 ans (une cause de voies de fait simples).

DÉMÉNAGEMENT EN MONTÉRÉGIE

Ces dernières années, il a travaillé dans des vergers de Mont-Saint-Hilaire au moment de la récolte des pommes. En 2012, il s'est installé à Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville, non loin de Mont-Saint-Hilaire, avec sa nouvelle femme, Patricia. Le couple s'était marié deux ans plus tôt - et ce, quelques mois à peine après leur rencontre - pour faciliter la régularisation du statut au Canada de la femme d'origine tunisienne. Dans ce village de la Montérégie, Duchaussoy a eu l'impression de ne pas être « ben ben aimé ».

À ce stade de l'interrogatoire, le suspect ne s'attarde pas sur le sujet. Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville et la fameuse Patricia deviendront importants dans la trame des événements.

L'enquêteur le sait, mais il est patient. Il évite de confronter Duchaussoy. L'interrogatoire ne fait que commencer.

DEUXIÈME HEURE: S'ENFONCER

L'hiver précédant l'arrestation de Michel Duchaussoy pour meurtre, sa femme, Patricia, est retournée vivre plusieurs mois dans son pays d'origine, la Tunisie.

« Ça m'a donné un coup [...]. On n'avait pas une relation de chicane. Patricia, elle m'adore », confie le principal suspect de l'assassinat d'un chauffeur de taxi montréalais.

Il est 1 h 20 du matin. On entre dans la seconde heure d'interrogatoire.

« Je peux te dire ça, elle t'aime », lui assure le sergent-détective François Petit.

Le suspect ne semble pas comprendre l'allusion de l'enquêteur au fait que sa femme collabore avec la police.

L'enquêteur fera plusieurs allusions aux femmes dans la vie du suspect durant la deuxième heure de l'interrogatoire. Il touchera des cordes sensibles.

Le policier l'assure que sa mère « l'aime encore ». « Je peux te dire qu'elle s'inquiète beaucoup pour toi. »

« C'est sûr. De voir ma face de même à la TV ! [La recherche du suspect a été médiatisée.] Une chance qu'elle a son pacemaker », répond Duchaussoy.

« Patricia aussi m'a dit que tu ne l'avais pas eu facile », renchérit le policier.

Encore une fois, le suspect ne saisit pas l'allusion.

Après le départ de Patricia vers la Tunisie, Duchaussoy a quitté Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville pour retourner vivre à Montréal. Une propriétaire de vergers qui possède aussi des immeubles dans la métropole lui a offert un boulot de concierge en plus de lui fournir un logement.

Duchaussoy a emménagé sur l'avenue Darlington dans le quartier Côte-des-Neiges. Mais comme ça lui est arrivé souvent, il n'a pas réussi à conserver son boulot. Ni le logement fourni.

UNE NUIT PASSÉE DANS UN CONTENEUR

Entre-temps, sa femme est revenue de la Tunisie. Environ trois semaines avant la mort du chauffeur de taxi, fin octobre, le couple s'est retrouvé à la rue. Duchaussoy s'est mis à ramasser de la ferraille dans des conteneurs pour la revendre. Il n'avait plus un sou en poche. Il dormait dans un vieux camion qu'il a fini par vendre 300 $.

Début novembre, le couple est allé vivre dans un motel à Mont-Saint-Hilaire, où il avait l'habitude de dormir à la saison des pommes. Après une semaine, il avait épuisé les profits réalisés avec la vente du camion. Il est rentré à Montréal sans payer la dernière nuit.

Le couple s'est retrouvé chez une amie de Patricia qui a accepté de les héberger quelques jours.

La veille de la mort du chauffeur, le couple n'avait plus d'endroit où se réfugier. Duchaussoy et sa femme ont passé la nuit dans un conteneur à Lachine.

« C'était de la marde. J'étais pogné par-dessus la tête [...] On s'est réchauffés là-dedans », décrit Duchaussoy.

Puis, le suspect comprend. « Tu as parlé à Patricia ? Elle n'était pas supposée partir dans son pays ? », demande-t-il à l'enquêteur.

« On l'a rencontrée », acquiesce le sergent-détective Petit.

Au terme de deux heures d'interrogatoire, le suspect semble saisir que le policier en sait davantage que ses questions ne le laissent paraître.

TROISIÈME HEURE: LA CIGARETTE

« Ça te fait quoi, aujourd'hui, d'être arrêté pour meurtre ? »

L'enquêteur François Petit pose des questions plus directes. Il entre dans sa troisième heure d'interrogatoire. Il est environ 2 h 30 du matin.

« Ça ne fait pas trop mon affaire parce que j'ai toujours essayé de me tenir loin de ça, des conneries comme ça. M'as te dire bien franchement, dans ma vie, je ne m'attendais pas à ça pantoute, pantoute, pantoute. J'ai toujours été le style de gars à aider mon prochain », répond Michel Duchaussoy, principal suspect du meurtre d'un chauffeur de taxi montréalais.

Sur un ton découragé, le quadragénaire ajoute : « Ma vie a pris une débarque, man. Je suis dans la marde totale. »

Comme pour marquer une pause, le policier lui offre des croustilles. « Envoye donc », répond le suspect en se détendant.

« Si je te parle de Côte-de-Liesse, ça te dit quoi ? », demande l'enquêteur.

La réponse du suspect est longue et pas toujours claire. La veille du meurtre du chauffeur de taxi, Duchaussoy raconte avoir passé une nuit blanche avec sa femme à attendre au rond-point Dorval que l'aéroport ouvre. Il voulait se faire rembourser un billet d'avion.

Sa femme avait alors fait rire d'elle parce qu'elle « mettait sa tuque avec son foulard noir pour se réchauffer ».

« Je suis dans' marde par-dessus la tête. Le monde rit de moé. Le monde rit de ma femme », déclare le suspect.

Il répète qu'ils avaient « frette » et qu'il n'avait jamais été aussi « fucké ». Il a consommé un joint de pot pour « se garder réveillé ». Pas d'alcool.

Le couple a ensuite pris un autobus de la STM sur le chemin Côte-de-Liesse. La chauffeuse les a laissés monter, même s'ils n'avaient pas d'argent pour payer leur passage.

« J'étais tout perdu. J'avais de la colère en dedans de moi. J'étais frustré d'avoir perdu ma job. » Le suspect répète qu'il en avait assez de faire rire de lui.

Le couple s'est par la suite arrêté dans un Tim Hortons du chemin Côte-de-Liesse.

À ce moment-ci de l'interrogatoire, le sergent-détective Petit sort des photos tirées de caméras de vidéosurveillance du Tim Hortons. Le suspect se reconnaît sur les images. Il voit sa femme aussi. Ces images ont été prises vers 23 h le 19 novembre.

On y voit Duchaussoy emprunter le cellulaire d'un employé du café.

UN SAC À DOS CONTENANT UNE ARME

Le suspect admet qu'il a appelé un taxi. « Je demande d'aller sur Darlington. Je veux aller coucher dans le bloc où je restais. Je voulais aller dormir à la chaleur », précise-t-il.

« Le chauffeur de taxi a l'air de quoi ? », lui demande le sergent-détective.

« Je n'ai jamais remarqué le chauffeur », affirme le suspect.

Le sergent-détective cherche à savoir s'il avait un sac à dos avec lui ce soir-là. Le suspect concède qu'il portait un sac qui contenait les vêtements de Patricia, des papiers et un peu de marijuana, dit-il.

Le sergent-détective insiste. Le sac contenait quelque chose d'autre.

Plutôt que de répondre, le suspect demande de fumer une cigarette.

« C'est quoi qu'y a dans ce sac-là ? », insiste le policier.

« Toutes des cochonneries de marde [...], c'était mon 12 qui était là-dedans », admet-il.

Duchaussoy s'est procuré le fusil de chasse à pompe alors qu'il vivait à Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville. Il explique l'avoir acheté 90 $ d'un vieux chasseur.

C'était pour « se protéger » et protéger sa femme des gens du coin qui ne l'aimaient pas, selon ses dires. On lui aurait reproché sa trop grande efficacité comme travailleur dans les vergers.

Le couple gardait l'arme chargée dans sa garde-robe de chambre. Un jour, Duchaussoy a coupé le canon et la crosse pour qu'il soit « moins long ».

Interrompant l'interrogatoire, un collègue du policier Petit entre alors dans la salle pour donner une cigarette au suspect.

Duchaussoy est reconnaissant. Il prend le temps de la savourer.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Des photos tirées de caméras de vidéosurveillance d'un Tim Hortons du chemin Côte-de-Liesse montrent que Michel Duchaussoy et sa femme s'y trouvaient vers 23 h le 19 novembre. 

QUATRIÈME HEURE: EN COLÈRE

Même s'il a quitté le village de la Montérégie où il avait l'impression que tout le monde lui en voulait, Michel Duchaussoy a apporté son fusil à Montréal.

« Je voulais aller le porter à la Sûreté du Québec, mais j'avais peur qu'on m'arrête parce que je l'avais coupé. »

Le policier continue à le cuisiner sur l'arme. Il entre dans la quatrième heure d'interrogatoire.

L'enquêteur ressort des photos du suspect au Tim Hortons. On y voit le suspect transporter un sac à dos duquel dépasse une boîte de carton.

« Le 12 est là-dedans », confirme-t-il.

Le suspect décide d'aborder le sujet de front. Le manque de sommeil et sa récente itinérance lui ont fait perdre la tête, dit-il. « J'étais fucked up, perdu. Même Patricia me reconnaissait pas. J'avais des poussées de violence. »

Duchaussoy jure qu'en arrivant à destination, sur Darlington, il voulait aller cogner chez ses anciens voisins pour leur demander de régler la course.

Le chauffeur aurait alors agrippé le manteau de sa conjointe pour la forcer à rester dans le véhicule, soutient le suspect. « Il me dit : "Toi, tu vas t'asseoir en avant, tu vas me faire une pipe." Tu te sauveras pas. J'ai pogné les nerfs. Je ne sais même plus ce qui s'est passé à partir de là. J'ai vu noir totalement. »

Selon l'expert en balistique qui a analysé la scène de crime, deux coups de feu ont été tirés. Un projectile, tiré de la banquette arrière, a traversé le siège du conducteur. Le manteau de la victime a été effleuré.

Le chauffeur a reçu une seconde décharge à bout portant, au visage. Il avait tourné sa tête vers le siège passager, selon une biologiste judiciaire chargée d'analyser les projections de sang dans le véhicule.

Ziad Bouzid, un père de famille de 45 ans, n'a eu aucune chance.

Ce soir-là, un témoin a vu deux personnes sortir du véhicule de taxi de la compagnie Diamond, sans pouvoir les identifier.

La Hyundai Sonata que conduisait M. Bouzid est ensuite allée emboutir violemment une voiture garée en bordure de Darlington.

Les deux personnes, elles, se sont envolées dans la nature.

LA FUITE

Le sergent-détective Petit veut maintenant savoir où est l'arme de Michel Duchaussoy. Il ne met plus ses gants blancs.

« Y'est où, le 12 ? »

Duchaussoy collabore. Il explique l'avoir laissé sur le toit d'un cabanon à l'arrière d'un immeuble de la rue Saint-Kevin. Il l'a caché là avant d'aller se réfugier chez une amie de Patricia qui habitait non loin.

Même s'il admet qu'il transportait un 12 cette nuit-là, Duchaussoy maintient qu'il ne se souvient pas d'avoir tiré des coups de feu.

Dans la journée suivante, sa femme et lui se sont séparés. Il s'est caché chez une autre amie, à Longueuil. Elle s'est rendue au consulat de la Tunisie, puis à la police.

Pendant ce temps, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) déployait tous ses enquêteurs et policiers disponibles pour trouver l'auteur du meurtre. La compagnie Diamond les avait informés rapidement du nom du dernier client de la victime : un certain « Michel ».

Moins de 36 heures après le crime, le SPVM diffusait l'identité du principal suspect. Il était considéré comme « armé et dangereux ». Hébergé par une amie à Longueuil, Duchaussoy a vu sa photo à la télévision. C'était dans la journée du 21 novembre.

En fin de journée, le quadragénaire a décidé de se rendre à la police. Il s'est dirigé à pied vers le poste de la Sûreté du Québec de la rue Nobel à Boucherville. Des patrouilleurs de Longueuil lui ont mis la main au collet à un jet de pierre du poste. Il n'a pas résisté. Il a ensuite été conduit à Montréal pour répondre aux questions des enquêteurs.

La quatrième heure d'interrogatoire s'achève.

Le suspect réclame une deuxième cigarette.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le lendemain du meurte de Ziad Bouzid, les policiers du SPVM ont tenté d'arrêter le suspect dans un immeuble de la rue Darlington, Michel Duchaussoy se trouvait plutôt à Longueuil. 

CINQUIÈME HEURE: CONFRONTATION

Maintenant que le suspect a raconté sa descente aux enfers, le sergent-détective François Petit décide de le confronter sur des incohérences.

Il est 4 h 05 du matin. On entre dans la dernière heure de l'interrogatoire.

« Il y a des petits bouttes qui marchent pas [dans ton histoire]. Je vais t'expliquer pourquoi. »

Le policier compare son enquête à un casse-tête. Le véhicule taxi, le corps de la victime, les témoins sont autant de pièces.

« Et vient le temps où on rencontre Patricia », lâche le policier en marquant une pause.

« Elle est où présentement ? », s'inquiète le suspect.

« Ne t'inquiète pas, elle va bien », le rassure l'enquêteur.

Le policier ne croit pas au « black out » du suspect. Et encore moins à l'histoire de l'engueulade avec le chauffeur.

L'interrogatoire se corse.

Le policier le compare à un « presto » prêt à exploser après des années de frustrations accumulées.

« Quand on vient en colère, notre raisonnement est affecté. Avec l'éducation que tu as eue, ce sont les outils que tu avais pour t'en sortir », lui explique le policier.

Après avoir perdu une énième fois son emploi, sans domicile fixe, « on s'entend-tu que le presto est plein en esti ? », lui dit l'enquêteur.

Le policier sort alors un lapin de son chapeau. Il fait jouer un enregistrement réalisé par Patricia, la femme du suspect, qui était avec lui dans le taxi cette nuit-là.

« Je suis avec les enquêteurs. C'est moi qui leur ai demandé de pouvoir te passer ce message. Je suis contente que tu vas bien. J'avais peur que tu aies fait encore une bêtise, que tu t'en prennes à toi-même », dit-elle, la voix étranglée par l'émotion.

« Chéri, accepte de te faire soigner, s'il te plaît. Tu n'es pas bien psychologiquement. Tu le sais que tu n'es pas bien », affirme-t-elle avant de conclure : « Si tu as besoin de moi, je serai toujours là pour toi. Je t'aime fort fort fort. »

Il est 4 h 26. L'enquêteur Petit enfonce le dernier clou. « C'est là que je te dis que ça marche pas ton histoire. Tu le sais comme moi. Patricia nous l'a dit comment ça s'est passé. »

« Y en a pas eu de conflit, renchérit le policier. [...] Tu n'as pas de solution. Tu ne veux pas le payer, mais tu as ton 12 avec toi. »

« Le presto a éclaté, lui répète l'enquêteur. Tu as trouvé la solution la plus facile pour toi. Le 12 était chargé dans ton sac. »

CARNAGE ÉVITÉ

Ce soir-là, des personnes qui ont croisé le chemin de Duchaussoy auraient pu tomber sous les balles. À « bout de nerfs », il était prêt à s'en prendre à n'importe quel homme qui lui aurait opposé une résistance ou manifesté de l'agressivité.

Par chance, la seule personne à l'avoir contrarié plus tôt dans la soirée était une femme. C'était une employée du Tim Hortons. « Mon esti de père, y a fait ça. Me suis toujours dit que je ne toucherais pas à une femme », précise Duchaussoy.

La chauffeuse d'autobus qui l'a laissé monter sans payer l'a aussi échappé belle. « Je ne sais pas si ç'avait été un homme qu'est-ce que j'aurais fait », raconte le suspect.

« Si ç'avait été un chauffeur ou un policier qui avait été devant toi, tu l'aurais tiré ? », demande le policier.

« À ce moment-là, oui. »

Le policier ne lâche pas le morceau. « Si c'était des gars qui avaient été là, au Tim Hortons et dans l'autobus, ils seraient morts ? »

« Probablement que oui. Je ne sais pas ce qui se serait passé, mais ç'aurait été violent », admet le suspect.

« S'il y a ben des gars dans l'autobus, au point où tu es rendu, tu aurais fait un carnage ? », renchérit le policier.

« Quasiment, oui. Je me suis dit : "Je ne débarque pas." »

Le policier pose quelques questions supplémentaires sur des détails avant de mettre fin à l'interrogatoire.

« Je vais-tu avoir une cellule avec un lit ? », s'inquiète le suspect.

Le sergent-détective lui précise qu'il va comparaître en après-midi au palais de justice de Montréal.

Il est 5 h 46 du matin. Le suspect accueille la nouvelle sans broncher. « C'est vous qui avez le contrôle de ma vie. Ça fait trois mois que je n'ai plus le contrôle de ma vie. »

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Ziad Bouzid 

LA SUITE

Michel Duchaussoy a plaidé non coupable à une accusation de meurtre non prémédité. La veuve de Ziad Bouzid, Samia Ali Messaoud, a assisté à l'enquête préliminaire de l'homme accusé d'avoir assassiné son mari. À au moins deux reprises, le juge Jean-Paul Braun, la voyant sangloter, s'est assuré qu'elle se sentait assez bien pour poursuivre l'audience.

Au terme de cette enquête qui se poursuivra en janvier, le magistrat va déterminer si la preuve est suffisante pour citer Duchaussoy à procès. La poursuite, qui a d'abord inculpé Duchaussoy de meurtre non prémédité, estime maintenant avoir la preuve suffisante pour l'accuser de meurtre prémédité. Me Geneviève Dagenais représente la poursuite, alors que Me Elfride Duclervil défend l'accusé.

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La veuve du chauffeur Ziad Bouzid, Samia Ali Messaoud