Quand Dany Dubuc-Marquis a manqué une courbe de la route 139 et que sa voiture a percuté plusieurs arbres, une nuit de juin dernier, les sacs gonflables de sa voiture GM ne se sont pas déployés. Le jeune homme de Granby n'a eu aucune chance: il est mort sur le coup.

Plusieurs mois plus tard, Normand Dubuc ne décolère pas. Surtout depuis qu'il a appris que le géant General Motors connaissait depuis plusieurs années les problèmes électriques de plusieurs modèles nuisant au fonctionnement des coussins gonflables, mais qu'il n'a rien fait pour les régler.

Lors de l'accident de son fils de 23 ans, les coussins gonflables auraient dû le protéger. Ils auraient même pu le sauver, croit-il.

«Les constructeurs nous font payer plus cher en disant que leurs voitures sont plus sécuritaires, mais les systèmes de sécurité ne fonctionnent même pas, lance-t-il, amer. La compagnie a tenté de camoufler le problème et d'éviter de prendre ses responsabilités.»

GM est dans la tourmente depuis plusieurs semaines, accusée de négligence concernant des défauts des commutateurs de démarrage de plusieurs modèles. Le moteur et les circuits électriques peuvent s'éteindre à cause d'un choc ou du poids d'un porte-clés trop lourd. Ce qui désactive les sacs gonflables, les ceintures de sécurité, et peut-être même la direction assistée et les freins antiblocage.

Selon les estimations de différents groupes américains, cette défectuosité pourrait avoir entraîné la mort de 300 automobilistes au cours des dernières années. 

Normand Dubuc a porté plainte peu après l'accident à Transports Canada, qui a déclenché une enquête sur le rôle que ce problème aurait pu jouer dans la mort de Dany. Mais les enquêteurs n'ont pas encore tiré de conclusions. 

GM connaissait le problème depuis 2001, selon des documents déposés devant les autorités américaines. Or, l'entreprise a attendu le mois dernier pour annoncer le rappel de 1,6 million de voitures en Amérique du Nord, dont 235 000 au Canada, équipées des commutateurs défectueux. Six modèles de voitures Chevrolet, Pontiac et Saturn des années 2003 à 2007 sont concernés.

Dany Dubuc-Marquis conduisait justement une Chevrolet Cobalt SS 2007 visée par le rappel. Au moment de l'accident, la Sûreté du Québec avait évoqué un endormissement au volant, soulignant que ni la vitesse ni l'alcool n'étaient en cause.

Manque de respect pour les victimes

Lors des premiers rappels de véhicules, GM avait indiqué qu'à sa connaissance, six décès et 17 accidents avec blessures auraient pu être causés par les problèmes de clé de contact. Elle mentionnait dans son communiqué que les victimes roulaient à vive allure, certaines sous l'effet de l'alcool et sans ceinture de sécurité, et qu'elles auraient été blessées même si les sacs gonflables avaient fonctionné. 

Cette déclaration a mis Normand Dubuc hors de lui. «Ça démontre un manque total d'empathie envers les victimes, dénonce-t-il. Ces gens-là n'ont pas de coeur, ils ne pensent qu'à l'argent.»

Mardi, la PDG de GM, Mary Barra, s'est excusée auprès des familles de victimes. Incidemment, l'entreprise a annoncé lundi le rappel de 1,5 million de véhicules supplémentaires, dont 70 400 au Canada, pour des défectuosités des sacs gonflables et ceintures de sécurité.

L'entreprise n'a pas répondu à nos demandes d'entrevue. Sur le site de GM Canada, on ne trouve aucune information sur les rappels et les précautions à prendre pour les propriétaires des voitures défectueuses. 

Transports Canada demande aux automobilistes de retirer leur clé d'allumage de leur porte-clés pour réduire les risques de mauvais fonctionnement du commutateur, jusqu'à ce qu'il soit remplacé dans le cadre de la procédure de rappel. 

George Iny, porte-parole de l'Association pour la protection des automobilistes (APA), déplore que GM n'offre pas à ses clients canadiens le même traitement qu'à ceux des États-Unis, où chaque propriétaire de Chevrolet Cobalt reçoit un bon de 500$, en plus d'un véhicule de service. Malheureusement, les pièces de remplacement ne sont pas encore prêtes pour l'installation.

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Photo fournie par La Voix de l'Est

Dany Dubuc-Marquis

Recours collectif contre GM

Une demande de recours collectif a été déposée mercredi au nom des propriétaires de voitures GM ayant des défauts d'allumage. Le cabinet Merchant Law Group demande dédommagement pour les réparations à effectuer et la perte de valeur des véhicules. «On réclame aussi des dommages punitifs contre l'entreprise à cause de sa tentative de camouflage, explique Me Tony Merchant, qui pilote le recours. Pour avoir un effet sur une si grosse entreprise, il faudrait que le montant réclamé soit de l'ordre de 5 millions. Il faut dire à l'industrie automobile que les consommateurs ont le droit d'être informés des problèmes.» Pour s'informer ou s'inscrire au recours collectif: www.merchantlaw.com/classactions/

Pas de poursuites possibles au Québec

Aux États-Unis, plusieurs familles de victimes dont la mort pourrait être liée aux défectuosités des voitures GM poursuivent l'entreprise pour plusieurs millions. Au Québec, les parents de Dany Dubuc-Marquis n'ont reçu que 52 000$ de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) en guise d'indemnité après la mort de leur fils. Le système québécois d'indemnisation sans égard à la faute ne leur permet pas de poursuivre GM, même s'il était prouvé qu'une défaillance des sacs gonflables de sa voiture a contribué à la mort du jeune homme. «C'est comme si le constructeur se déchargeait de toute responsabilité», déplore Normand Dubuc. Selon George Iny, de l'APA, ce serait à la SAAQ de poursuivre un constructeur automobile si un défaut de fabrication est en cause dans un accident. «Malheureusement, ils ne le font pas», dit-il. En revanche, si les parents de Dany Dubuc-Marquis s'inscrivent au recours collectif contre GM, «le juge pourrait décider de leur octroyer une part plus importante des dommages punitifs lors du partage des sommes», note Me Tony Merchant.