Les Hells Angels s'affairent depuis deux ans à réinvestir le Canada atlantique, mais ils semblent avoir du mal à y recruter des « membres en règle », estiment les experts.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) et des spécialistes du crime organisé s'expliquent mal pourquoi le groupe de motards criminels le plus puissant du pays n'a pas encore trouvé sur place des candidats dignes de devenir membres en règle. Mais ils confirment que les Hells se réorganisent bel et bien, après le douloureux démantèlement par la police de leur chapitre de Halifax en 2001.

Stephen Schneider, professeur de criminologie à l'Université Saint Mary's, à Halifax, estime que la création d'un nouveau club-école au cours de la dernière année - les Red Devils - démontre que les Hells ambitionnent toujours de se redéployer dans les provinces de l'Atlantique.

« Les Red Devils sont pour ainsi dire leur club affilié AAA au niveau international », estime le professeur Schneider, qui a beaucoup écrit sur le crime organisé. « C'est donc un signe que les Hells Angels n'ont pas lâché le morceau et qu'ils tiennent vraiment à être présents dans le Canada atlantique. »

Les Red Devils ont créé des chapitres à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Les membres du chapitre de Halifax, créé en juillet, ont été recrutés au sein de deux autres clubs de motards, les Gatekeepers et les Darksiders, selon la sergente d'état-major de la GRC Guylaine Cottreau, du Service de renseignements criminels en Nouvelle-Écosse.

« Ils étaient connus des Hells Angels et provenaient de clubs amis déjà existants », explique Mme Cottreau. « Mais on ne signale pas de nouveaux "prospects" [...] même si les Hells ont toujours une bonne empreinte dans la province avec leurs clubs amis. »

Selon l'agente Cottreau, les Hells disposaient d'un chapitre de « prospects » en Nouvelle-Écosse, mais il comptait moins de six membres à l'automne, et ces motards sont devenus depuis des « prospects » des Hells au Nouveau-Brunswick voisin, où leur club des Nomads comprenait déjà quelques membres en règle transplantés dans cette province. Les Nomads étaient dirigés jadis au Québec par Maurice Boucher, qui purge une peine de prison à vie pour le meurtre de deux gardiens de prison.

Des côtes très attrayantes

En plus des Red Devils, la Nouvelle-Écosse compte d'autres « petits » gangs criminels, notamment des clubs Darksiders à Dartmouth et dans la vallée de l'Annapolis, des clubs Sedition à Fall River et Weymouth, et des clubs Highlanders à Antigonish, dans le comté de Pictou et au Cap Breton.

Les experts estiment que les Hells cherchent à élargir leur territoire et à prendre le contrôle du trafic de drogue dans une région comptant plusieurs milliers de kilomètres de côtes, un attrait indéniable pour des trafiquants.

Le Bacchus Motorcycle Club serait la seule autre organisation rivale de motards criminels en Nouvelle-Écosse, et il semble avoir conclu une trêve dans la région avec les Hells. Un juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a déclaré l'organisation « criminelle » dans une décision rendue en juillet - décision qui risque de freiner ses activités, car cette étiquette s'accompagne de peines plus sévères pour les crimes commis au profit du gang.

Pendant ce temps, les Outlaws, traditionnels rivaux des Hells Angels, ont aussi fait une incursion dans la région avec des clubs amis comme les Black Pistons à Fredericton et à Sydney, où ils se sont installés plus tôt cette année. Les Outlaws et les Bacchus sont également présents à Terre-Neuve, comme d'ailleurs plusieurs clubs amis des Hells Angels. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, on compte deux chapitres des Bacchus et un chapitre d'un club affilié aux Hells Angels.

« Pour le moment, c'est calme, mais les Outlaws constituent le principal groupe rival des Hells Angels : il y a donc un potentiel (de violence) », a déclaré Mme Cottreau.

Des Outlaws « culottés »

Le professeur Schneider trouve surprenant que les Outlaws tentent de s'installer dans le Canada atlantique après avoir échoué dans leur tentative de devenir une menace importante pour les Hells en Ontario. « Ils sont culottés, il faut leur donner cela », laisse tomber M. Schneider. « Ils continuent à se battre et à tenter d'établir leur territoire. »

Bien que le port de Halifax devrait représenter un attrait certain pour les Hells Angels, la police affirme qu'elle n'a signalé aucune activité suspecte de ce côté. Le professeur Schneider, qui vient de terminer une étude pour le gouvernement fédéral sur le crime organisé dans les ports maritimes, n'a pas trouvé non plus de preuve directe d'une présence des Hells sur les quais de Halifax. « Mais ça ne veut pas dire qu'ils n'y sont pas, ou qu'il n'y a pas d'associés. »

Le criminologue estime que l'influence des Hells en a pris pour son rhume à la suite d'opérations policières majeures, comme l'arrestation en juillet de l'important membre du Nouveau-Brunswick Emery Martin. Mais ce serait surtout le succès de la répression des années précédentes contre le groupe de motards au Québec qui aurait eu le plus d'impact, selon lui.

En avril 2009, l'opération SharQc avait mené à l'arrestation de 156 personnes et à la fermeture de plusieurs des clubs du gang criminel. De nombreux procès ont toutefois fait chou blanc, et les Hells ont réussi à se relever au Québec, ce qui aura éventuellement des implications pour la région de l'Atlantique, croit M. Schneider.

« Ils sont mieux placés pour créer des chapitres et des club-écoles dans le Canada atlantique, croit-il. La présence des Red Devils à Moncton est importante, car il s'agit d'un club-école de premier plan, associé depuis longtemps au chapitre montréalais des Hells Angels. »

L'agente Cottreau affirme que la police est au courant de cette menace grandissante - elle a d'ailleurs observé dans la région cet été la présence de Hells Angels du Québec. « Nous essayons de les ébranler et de les démanteler, mais la tâche est ardue : c'est une organisation assez bien établie. »