Fers de lance de l'organisation de Maurice Boucher, soldats de la première ligne durant la guerre des motards qui a fait 160 morts et autant de blessés dans les années 90, les ex-membres des Rockers de Montréal, défunt club-école des Hells Angels, semblent frappés d'une malédiction depuis qu'ils sont sortis du pénitencier après avoir purgé de longues peines dans la foulée de l'opération Printemps 2001.

Sébastien Beauchamp, membre du noyau dur des Rockers, tué en plein jour jeudi après-midi dans le stationnement d'une station-service de l'arrondissement de Saint-Léonard, est la plus récente victime de cette malédiction, a constaté La Presse.

La série noire a débuté en janvier 2013 lorsque l'un des membres les plus influents des Rockers, Bruno Lefebvre, a été atteint d'au moins un projectile à la tête dans une plomberie d'Outremont où il travaillait. Lefebvre avait gravi les échelons de l'organisation des Hells Angels jusqu'au grade de prospect, avant de tomber vraisemblablement en disgrâce. Il a survécu à ses blessures, mais on n'entend plus parler de lui.

En novembre 2017, un de ses anciens compagnons d'armes, Vincent Lamer, est mort sous les balles à l'âge de 48 ans. Il aurait été victime d'une purge approuvée par les Hells Angels, ce qui serait également le cas de Lefebvre.

En janvier 2018, un homme qui venait de manger en compagnie de deux autres personnes au restaurant À la vieille cheminée, sur le boulevard Métropolitain à Saint-Léonard, a été la cible d'un tireur au moment où il sortait de l'établissement. Mais l'arme du tireur s'est enrayée et le client a ouvert le feu à son tour, blessant son agresseur, avant de prendre la fuite.

La Presse a appris de diverses sources que ce client serait un autre ancien membre du noyau dur des Rockers et un proche de Lamer et de Beauchamp. Il semble que l'homme aurait cassé la croûte avec un membre en règle des Hells Angels et un associé de ces derniers avant que l'on tente de le tuer.

DE HÉROS À ZÉRO

Un rare membre des Rockers qui est parvenu au sommet est Kenny Bédard, qui a réalisé son rêve de devenir Hells Angel. Mais Bédard est mort bêtement lorsque sa moto est entrée en collision avec un véhicule récréatif au Nouveau-Brunswick en juillet 2016.

Si on exclut cette mort accidentelle, il pourrait y avoir un ou des liens entre les événements impliquant les quatre autres anciens Rockers mentionnés ci-dessus.

Lorsqu'ils ont été condamnés à de longues peines pour gangstérisme et trafic de stupéfiants au début des années 2000, les Rockers étaient vus comme le club-école d'élite des Hells Angels. Ils ont fait la guerre et purgé leur peine. Mais à leur sortie, à partir de la fin des années 2000 et au début des années 2010, les choses avaient changé. La quasi-totalité des Hells Angels étaient derrière les barreaux, après avoir été arrêtés dans le cadre de l'opération SharQc en 2009.

La poignée d'individus qui assuraient la continuité étaient les anciens ennemis jurés, des Rock Machine devenus Hells Angels. Un autre ancien Rocker, Gregory Woolley, seul Noir à avoir gravi les échelons de l'organisation, était devenu un chef de gang influent, alors qu'il était autrefois un exécutant.

À leur sortie, donc, les autres Rockers étaient vraisemblablement retombés au bas de l'échelle. Ils ont peut-être eu de la difficulté à l'accepter, à s'adapter et à obéir aux ordres.

ENQUÊTE COMPLEXE

Si nos sources n'excluent pas qu'il puisse y avoir un lien entre les attentats contre Lamer, l'ex-Rocker du restaurant À la vieille cheminée, et Beauchamp, il n'en demeure pas moins que ce dernier aurait contracté d'importantes dettes, qui se seraient comptées en centaines de milliers de dollars.

Dans l'enquête Magot menée en 2013-2014, les enquêteurs ont observé Beauchamp frayer à la fois avec les motards et des membres de la mafia, et la commande visant à le tuer pourrait provenir de bien des endroits.

Selon des informations non confirmées, le meurtrier de Beauchamp, qui aurait été cagoulé, aurait utilisé deux armes jeudi, dont l'une se serait enrayée. Il aurait ouvert le feu avec l'autre sur sa victime qui a couru pour fuir, ce qui pourrait expliquer la dispersion des impacts de balles. Le tireur aurait ensuite abandonné son arme ou ses armes avant de prendre la fuite.

Avant sa condamnation et après sa sortie du pénitencier, Beauchamp aurait fréquenté une agente de stationnement de la Ville de Montréal dont la division est maintenant sous la responsabilité du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), a révélé TVA jeudi.

Selon nos informations, la relation aurait pris fin il y a quelques années et la femme n'aurait jamais eu accès à des informations délicates ou à des banques de données de la police.

Le commandant des relations avec les médias du SPVM Jonathan Martel n'a toutefois pas voulu confirmer ou infirmer nos informations, compte tenu de l'enquête en cours.

Sébastien Beauchamp était surnommé Bass dans le milieu criminel. Il se serait également parfois fait appeler Hook ou Capitaine Crochet, en raison d'une prothèse qu'il portait à la suite de l'amputation d'un bras pratiquée après un accident.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

Photo archives La Presse

Sébastien Beauchamp