S'il avait témoigné à la commission Charbonneau, comme plusieurs le souhaitaient, le parrain de la mafia Vito Rizzuto aurait déclaré que sa famille n'a jamais financé les partis politiques, mais qu'elle a vu les politiciens venir vers les entrepreneurs et mettre en place un « système » de financement.

C'est ce que révèle le nouveau livre Vito Rizzuto : la chute du dernier parrain, écrit par le journaliste de La Presse Daniel Renaud en collaboration avec Lorie McDougall, policier retraité de la GRC.

En 2012 et 2013, la commission Charbonneau a décortiqué l'implication de la mafia dans l'industrie de la construction à Montréal. Des vidéos montraient les représentants des entreprises apporter une ristourne en argent au club social Consenza. Les mafiosi, dont le père de Vito Rizzuto, Nicolo, se partageaient ensuite les liasses de billets.

Le nom de Vito Rizzuto, mort emporté par la maladie en décembre 2013, avait été mentionné plusieurs fois pendant les témoignages, et plusieurs se demandaient s'il allait être appelé à la barre.

Dans le livre qui vient d'arriver en librairie, d'anciens enquêteurs de la commission Charbonneau témoignent, à visage découvert et notes à l'appui, des tractations qui ont eu lieu au sujet de ce potentiel témoin-vedette, qu'ils ont rencontré deux fois pour des entretiens préparatoires.

Une vieille pratique 

Le parrain avait affirmé aux enquêteurs que jamais sa famille ne s'était impliquée dans le financement des partis politiques. Il croyait que n'importe quel politicien qui aurait été sondé par le clan Rizzuto risquait d'appeler la police.

La Commission avait montré que les entrepreneurs impliqués dans la collusion versaient un pourcentage de la valeur des contrats publics montréalais à la mafia et un pourcentage au parti municipal Union Montréal du maire Gérald Tremblay. « Ce sont des hommes politiques qui sont venus vers eux et qui ont mis en place un système de financement », aurait expliqué Rizzuto.

Quant au partage des liasses d'argent entre bonzes de la mafia, il disait que ce genre de pratique existait à Montréal avant même l'arrivée des Rizzuto.

« Il martèle que la construction, c'était l'affaire de son père (décédé au moment de la rencontre), qui avait un grand amour pour son pays d'origine et les gens de son village natal [...], que les migrants arrivant ici avaient souvent peu d'éducation mais beaucoup de volonté et que Nicolo Rizzuto leur montrait comment cela fonctionnait ici pour les aider à se lancer en affaires », écrit Daniel Renaud au sujet d'une des rencontres préparatoires.

« Avoir su, on leur en aurait demandé davantage »

Vito Rizzuto prétendait que les entrepreneurs venaient voir son entourage de leur propre initiative pour arbitrer des conflits.

« Est-ce que vous comprenez la distinction entre une personne à qui je vais dire quoi faire et une personne qui vient me voir et qui me demande ce qu'elle doit faire ? », a-t-il demandé aux enquêteurs.

Il disait ne pas être choqué par cet appel téléphonique diffusé à la Commission où on entendait un matamore de la mafia ordonner à un entrepreneur de Québec de ne plus venir travailler à Montréal.

« C'est quoi, le problème, avec ça ? Il y a des gens qui travaillent à Québec ? Qu'ils travaillent à Québec. Il y a des gens qui travaillent à Montréal ? Qu'ils travaillent à Montréal. Comme ça, tout le monde travaille. »

- Vito Rizzuto

Le parrain avait constaté comme tout le monde à quel point des firmes de génie et des entrepreneurs en construction s'étaient enrichis en gonflant artificiellement les prix des contrats.

« J'aurais dû monter une entreprise de consultant, j'aurais fait plus d'argent. Et avoir su que c'était si payant, on leur en aurait demandé davantage », a lancé celui qui n'avait pas un sou à son nom officiellement, mais dont la fortune cachée était évaluée à des dizaines de millions de dollars.

Quand les enquêteurs lui ont expliqué qu'ils allaient faire témoigner Nicolo Milioto, alias monsieur Trottoir, au sujet des liens entre la mafia et l'industrie de la construction à Montréal, Vito Rizzuto a dit croire qu'ils n'en tireraient pas grand-chose.

« Je ne sais même pas s'il parle à sa femme », a-t-il déclaré.

Le risque d'en faire un héros

La commission Charbonneau devait se concentrer sur les contrats publics de construction, pas sur la drogue, les paris, les vendettas sanglantes entre trafiquants. À ce sujet, elle ne disposait pas de preuve écrasante pour acculer Vito Rizzuto au mur. Puisqu'il ne semblait pas vouloir se lancer dans des aveux, la décision a été prise de ne pas le faire témoigner, apprend-on dans le livre.

« Déjà deux témoins [...] avaient dit qu'il était sympathique et bon joueur de golf. J'ai toujours dit que si Vito Rizzuto était capable d'aligner des criminels de tout acabit derrière lui, il était capable d'enfirouaper la population. Si nous n'avions pas été capables de le faire mal paraître, il aurait pu ensuite se présenter à la mairie et être élu. Rizzuto était très amical, mais il a quand même fait tuer du monde », confie l'enquêteur Éric Vecchio aux auteurs du livre.

« Ce dont nous avions très peur, sans levier et connaissant le charisme de Vito Rizzuto, c'est que nous risquions d'en faire une espèce de Robin des bois avec lequel le public aurait pu tomber en amour », renchérit Nick Milano, un autre enquêteur.

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

Le nom de Vito Rizzuto, mort subitement en décembre 2013, avait été mentionné plusieurs fois pendant les témoignages de la commission Charbonneau, et plusieurs se demandaient s'il allait être appelé à la barre.