La décision est tombée hier : fini le chow mein au petit matin pour les gangs criminels qui jouaient du pistolet dans le quartier chinois de Montréal.

Confrontés à des explosions récurrentes de violence aux alentours d'un restaurant chinois qui avait été adopté par pratiquement «tous les groupes criminalisés de la métropole» pour des festins à la sortie des bars, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avaient exigé des changements urgents pour protéger la population.

«Le risque à la vie et la santé des personnes est important», précisait la police dans une requête pour obtenir une audience d'urgence devant la Régie des alcools, des courses et des jeux, au début du mois.

La goutte qui a fait déborder le vase a été l'éclatement d'une fusillade en pleine rue le 8 mai dernier. 

Des documents déposés devant la Régie indiquent qu'une dispute impliquant des relations de deux gangs de rue a commencé dans le salon VIP du restaurant Mon Nan, rue De La Gauchetière Est, peu avant 4h du matin.

Citoyens «dans le champ de tir»

Selon ce qu'a appris La Presse, le désaccord aurait éclaté au sujet de certaines marchandises volées. Les deux clans sont sortis à l'extérieur et des membres ont commencé à se tirer dessus en pleine rue. Une quinzaine de coups de feu ont été dénombrés, alors que des passants effrayés se mettaient à l'abri du mieux qu'ils le pouvaient.

Le SPVM affirme que deux citoyens non liés aux belligérants se sont retrouvés «dans le champ de tir».

«Deux autres personnes venaient de se stationner et sont restées prisonnières de leur voiture pendant la fusillade. Une balle a crevé un de leurs pneus et une autre s'est retrouvée dans l'une des portes de l'auto», lit-on dans les documents de la Régie.

Lorsque les armes se sont tues, Bernardin Polynice, 33 ans, gisait sur le sol. Il avait été «criblé de balles», selon le SPVM. Transporté dans un état critique à l'hôpital, il a été sauvé de justesse par le personnel médical. Un de ses acolytes a aussi été blessé d'un projectile à une jambe.

Polynice, alias «Ben Laden», est connu depuis longtemps comme un membre de gang affilié à la famille des «Rouges». Un enquêteur a raconté devant la cour l'an dernier qu'il gérait un réseau de trafic de stupéfiants au centre-ville et s'approvisionnait auprès d'autres membres des Rouges.

Risque de riposte

«Puisque le restaurant Mon Nan est un lieu régulier de réunion, où le groupe victime (gang de rue rouge) peut s'attendre à trouver des membres du groupe adversaire (bleu) pour une vengeance ou une réplique, l'ouverture du restaurant constitue un risque pour les employés et les clients du restaurant, les résidents du secteur et les citoyens qui circulent aux alentours», expliquait le SPVM dans sa demande pour une audience d'urgence.

Les policiers soulignaient que l'établissement est situé à l'angle d'une rue piétonne et d'une rue résidentielle, dans un secteur populeux, et qu'il génère un achalandage important la nuit. La situation devenait intolérable.

Il faut dire que le SPVM observait depuis des années la présence de membres de groupes criminels qui se retrouvaient de nuit au restaurant Mon Nan. L'établissement ouvert en 1982 était réputé depuis longtemps pour offrir des repas complets particulièrement tard, soit jusqu'à 4 h du matin tous les jours à l'exception du lundi, où le service se terminait à 3h.

De jour, la clientèle n'a rien de spécial. Mais après la fermeture des bars, plusieurs criminels y avaient leurs habitudes.

«Le restaurant Mon Nan est un lieu de rassemblement en fin de soirée, pour tous les groupes criminalisés de la métropole», lit-on dans les documents déposés à la Régie. L'escouade Éclipse du SPVM y a noté une quarantaine de fois la présence de membres de clubs de motards criminels québécois et de gangs de rue issus de diverses communautés culturelles de Montréal. Des groupes qui ne font pas toujours bon ménage.

«Ces gens sont violents, dangereux et ont, pour la plupart, accès à des armes à feu», affirme le SPVM, en citant de nombreux évènements violents reliés à l'établissement.

En décembre, en un mois seulement, les policiers ont dû intervenir deux fois à l'intérieur pour des bagarres impliquant une vingtaine de personnes, entre 3h et 5h du matin. Des couteaux avaient été sortis, une chaise avait été lancée vers un client, une femme avait reçu une assiette sur la tête, un chargeur de pistolet avait été retrouvé par terre.

Collaboration du propriétaire

Le propriétaire, Joes Wah Lee, a rencontré les policiers et reconnu un problème de fréquentation criminelle à la sortie des bars. Le 11 mai, il a consenti à la suspension volontaire de ses permis d'alcool et à la fermeture temporaire de son salon VIP jusqu'à ce qu'une solution durable soit trouvée au problème. Il a aussi fait installer de nouvelles caméras de surveillance et s'est engagé à ce que les policiers y aient accès sur demande.

Hier, un enquêteur du SPVM, Donald Hubert, a témoigné devant les régisseurs de la Régie des alcools, des courses et des jeux que ces mesures avaient eu un effet important sur le quartier. «On voit vraiment un environnement qui a changé complètement. L'impact est évident sur les lieux et le voisinage», a-t-il dit.

Après de longues négociations avec la police et le contentieux de la Régie, le restaurateur s'est engagé à cesser dorénavant le service d'alcool à 1h30 et à ne plus tolérer de clients passé 2h du matin. Pour toujours. 

Les caméras demeureront en place et un écriteau à l'entrée avertira les clients que l'établissement collabore avec la police. L'ensemble des mesures devrait éliminer les réunions de groupes criminels à la sortie des bars.

L'entente a satisfait toutes les parties. L'enquêteur Donald Hubert a dit avoir bon espoir que le nouvel arrangement réglerait les problèmes de fréquentation du restaurant.

L'avocat du restaurant, Me Richard Phaneuf, s'est réjoui d'avoir trouvé un terrain d'entente. Il a souligné que son client n'avait jamais souhaité voir des criminels mettre en danger ses clients et son personnel.

«Rien dans la preuve ne démontrait que mon client sympathisait avec ces gens-là. Même pas proche. Il a démontré sa bonne foi là-dedans pour éviter des problèmes importants», a-t-il précisé.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse