Une partie des profits de 7,3 millions de dollars réalisés en un an et demi par les contrebandiers de tabac liés à la mafia arrêtés cette semaine par la Sûreté du Québec était destinée aux fils de Paolo Violi, ancien parrain du crime organisé traditionnel italien tué à Montréal en 1978, a appris La Presse d'une source policière.

On ignore le pourcentage exact de cette «taxe» qui aurait été acheminée à Domenico et Giuseppe Violi mais tout indique que les enquêteurs du Service des enquêtes sur la criminalité contre l'État ont fait certains constats durant l'enquête Olios, qui a connu son dénouement cette semaine, après un an et demi.

Mercredi, les enquêteurs ont mené une dizaine de perquisitions à Montréal, sur la rive nord et en Ontario. Ils ont arrêté 14 personnes, dont la présumée tête dirigeante du réseau de contrebandiers, Domenico Agostino, 48 ans, et son assistant, Domenico Cocullo, 39 ans. 

Les suspects se seraient acoquinés avec une entreprise de Notre-Dame-de-Lourdes, près de Joliette, qui possède un permis de transport en vrac aux Etats-Unis. 

Lorsque les chauffeurs de cette entreprise se rendaient dans l'est des Etats-Unis, ils s'arrêtaient en Caroline du nord et rapportaient des centaines de kilogrammes de tabac qui étaient ensuite traités sur la réserve amérindienne de Kahnawake, près de Montréal, selon les prétentions de la police. 

La police évalue que la fraude envers les deux paliers de gouvernement dépasse les 200 millions de dollars. La police provinciale de l'Ontario, l'Agence des services frontaliers du Canada et le Département de la sécurité intérieure des Etats-Unis ont collaboré à l'enquête.

Un clan discret

Installés à Hamilton depuis que leur mère a quitté Montréal avec eux au tournant des années 80, les frères Domenico et Giuseppe Violi ont été arrêtés pour trafic de drogue par la police ontarienne en novembre 2017. Selon nos informations, au moment de son arrestation, Violi conduisait un véhicule au nom de Domenico Agostino. 

Ce dernier est considéré par la police comme faisant partie de la même cellule de la mafia montréalaise que celle frappée dans une autre importante enquête anti-contrebande de tabac baptisée Lycose et effectuée en 2014. Il est le cousin de Franco Albanese arrêté et accusé dans la foulée de l'enquête Lycose. Durant cette enquête, les policiers avaient perquisitionné le quartier général de la famille, une boulangerie-pâtisserie de l'arrondissement Saint-Léonard.

Les Agostino-Albanese étaient des fidèles et alliés des clans calabrais des Cotroni et des Violi avant que ceux-ci soient détrônés par les Siciliens (Rizzuto) au début des années 80. Le chef de la famille, Nicodemo Agostino, a été assassiné le neuf mars 1984. Depuis, les Agostino-Albanese auraient mené leurs petites affaires dans une relative discrétion, loin des projecteurs policiers braqués sur les clans dominants.

Ce qui n'a pas empêché les enquêteurs de la Gendarmerie Royale du Canada d'intercepter certaines de leurs communications durant l'enquête Clemenza, menée en 2011 contre les clans émergents de la mafia qui cherchaient à prendre la place des Rizzuto durement étrillés dans l'opération Colisée en 2006.

Le 24 novembre 2011 par exemple, Franco Albanese avise son cousin Domenico Agostino que l'aspirant parrain Salvatore Montagna a été assassiné. «L'Américain vient d'être tué», dit Albanese. «Es-tu sérieux ?! Où et Quand?», demande Agostino. «Très sérieux. À dix heures ce matin, à Charlemagne», répond Albanese. 

Le 20 décembre, après l'arrestation de Raynald Desjardins et de ses complices pour le meurtre de Montagna, Domenico Agostino envoie un message texte à son cousin pour lui demander s'il est «à la rencontre d'urgence de la mafia», selon des documents judiciaires obtenus par La Presse

Domenico Agostino n'a pas d'antécédent judiciaire alors que Domenico Cocullo a déjà été condamné à de courtes peines de prison. 

Plus payant que la coke

D'après nos informations, l'enquête Olios découle d'une autre enquête contre la contrebande de tabac appelée Mygale qui a, cette fois-ci, visé les Hells Angels en mars 2016. 

Durant un témoignage en cour, le lieutenant Dany Dufour de la Sûreté du Québec avait expliqué que le crime organisé contrôlait maintenant la contrebande de tabac et de cigarettes au Québec car il fallait importer de grosses quantités pour que cela soit payant et que cela nécessitait une structure « de haut niveau» pour y parvenir.

«C'est huit fois plus rentable pour le crime organisé de vendre du tabac et des cigarettes de contrebande que de la cocaïne», avait déclaré l'officier selon qui la proportion de tabac et de cigarettes de contrebande consommés au Québec se situe entre 15 et 20%. 

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Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.