«J'ai perdu confiance en le système de justice.»

Lorsque sa femme a été tuée alors qu'elle allait chercher leur fille de 17 ans à la fin de son quart de travail au Tim Hortons d'une station-service de Pointe-aux-Trembles, Denis Vanier a été plongé bien malgré lui dans un univers dont il ignorait tout : le système judiciaire.

«Je me rends compte que l'accusé a tous les droits. Nous, les familles des victimes, on n'a pratiquement aucun droit, déplore le mari de Chantal Cyr, assassinée le 4 décembre dernier. On est considérés comme des spectateurs.»

M. Vanier s'est confié à La Presse, hier, en marge de l'audience de Frédérick Gingras - accusé de deux meurtres, dont celui de Chantal Cyr, et de deux tentatives de meurtre. L'enquête préliminaire de l'accusé, qui devait débuter hier, a été reportée à l'automne prochain à la demande de la défense.

L'état mental de l'accusé - qui est suivi par un psychiatre depuis son arrestation - n'est pas assez «stable» ces jours-ci en raison d'une augmentation de sa dose d'antipsychotiques, a indiqué au Tribunal, son avocat, Me Kavin Morasse.

L'accusé souffrait de problèmes de santé mentale et de toxicomanie depuis au moins quatre ans, selon sa mère qui a multiplié les appels à l'aide pour lui trouver une place «en institution» - sans succès - avant que le drame ne survienne. Il avait d'ailleurs été libéré de la prison de Saint-Jérôme moins de trois semaines avant la tragédie. Il avait été incarcéré après avoir attaqué sa mère dans un énième épisode psychotique.

«Déçu» du gouvernement Couillard

M. Vanier se dit «déçu» du gouvernement de Philippe Couillard qui n'a pas donné suite à la demande formulée par le Parti québécois au lendemain du meurtre de sa femme. L'opposition officielle avait réclamé une enquête publique du coroner pour faire la lumière sur la mort de James Jardin et de Chantal Cyr afin «qu'on sache pourquoi Frédérick Gingras était en liberté malgré ses problèmes mentaux et pourquoi il a commis ces gestes».

«Le ministre de la Sécurité publique a répondu qu'il allait suivre le processus judiciaire de près et qu'il nous offrait son soutien», explique le mari de Mme Cyr.

«Je ne sais pas de quel soutien il parlait parce qu'on n'a jamais eu de nouvelles du gouvernement. Même pas une carte de condoléances. Rien.»

L'homme endeuillé souhaite d'ailleurs rencontrer le gouvernement Couillard pour le sensibiliser au sort des familles des victimes d'actes criminels.

Après le drame, M. Vanier et sa fille de 17 ans, Carolanne, n'ont jamais été capables de remettre les pieds dans leur condo situé tout près de l'endroit où Mme Cyr a été tuée. Ils ont déménagé dans les Laurentides, question de s'éloigner du lieu de la tragédie.

Le préposé aux bénéficiaires est en arrêt de travail depuis le meurtre de sa femme. «Je travaillais dans un département de psychiatrie. Je ne pense pas être capable d'y retourner avec ce qui est arrivé», lâche-t-il.

Beaucoup de colère

M. Vanier s'est déplacé au palais de justice de Montréal, hier, car il tenait à voir «en personne» l'homme accusé du meurtre de sa femme même s'il avait été prévenu que la cause allait être reportée.

«En dedans de moi, je ressens beaucoup de colère, de peine, affirme le père de famille. C'est son droit de reporter l'enquête préliminaire mais j'ai l'impression qu'il [l'accusé] cherche à repousser sa cause le plus possible.»

M. Vanier ressasse les mêmes questions, en quête de réponses qui ne viendront peut-être jamais. «Je me demande pourquoi c'est arrivé à ma femme, poursuit l'homme en ravalant un sanglot. Elle n'a jamais fait de mal à personne. Elle voulait toujours aider les autres.»

La douleur est d'autant plus vive que le jour où sa femme a été tuée - le 4 décembre - correspond au jour où leur autre fille est morte des suites d'une maladie à l'âge de 7 ans. C'était il y a 20 ans.



«Caro, c'est ta mère»


Vingt ans plus tard : un second drame secoue la famille Cyr-Vanier.

Leur fille de 17 ans, Carolanne, terminait son quart de travail le 4 décembre 2016 lorsque des clients sont entrés dans le commerce en disant qu'une femme venait de se faire tirer dessus. L'une de ses collègues lui a ensuite annoncé : «Caro, c'est ta mère.» L'adolescente s'est ruée à l'extérieur pour découvrir sa mère gisant dans une mare de sang.

«Ce jour-là, Carolanne a perdu sa meilleure amie, sa confidente», décrit son père. 

«Elle va mieux aujourd'hui parce que c'est une jeune fille qui a toujours été très forte, mais ça a bouleversé nos vies d'un coup sec, pour toujours.»

Lorsque Frédérick Gingras est entré dans le box des accusés, hier, l'adolescente qui accompagnait son père au tribunal l'a fusillé du regard. Puis, des larmes lui sont montées aux yeux.

Même s'il a «perdu confiance en le système», M. Vanier tient tout de même à souligner la «gentillesse» et le «dévouement» de la procureure de la Couronne au dossier, Me Catherine Perreault.

Son combat ne vise pas une personne, précise-t-il, mais tout un système. «Je vais me battre pour que les familles des victimes aient plus de droits», insiste le père éploré.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE PIERRE-HUGUES BOISVENU

Chantal Cyr avec sa fille, Carolanne Cyr-Vanier, et son mari, Denis Vanier