Ils étaient deux. Deux jumeaux, prédateurs sexuels endurcis, revenus à Montréal après leur peine de prison aux États-Unis. L'un a été assujetti à de strictes conditions de remise en liberté et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a réussi à le tenir loin d'une femme sur qui il avait l'oeil. En raison d'un imbroglio bureaucratique, l'autre a été laissé complètement libre de ses mouvements. Il est maintenant accusé d'avoir agressé une nouvelle victime.

Georgi Spitzer a été arrêté le 24 février dernier. Il est accusé d'une agression sexuelle survenue à Montréal entre le 1er janvier et le 28 février 2013, dans des circonstances qui n'ont pas encore été dévoilées. Son enquête pour mise en liberté a été fixée au 30 mai prochain.

Spitzer habitait un petit appartement à Outremont avec son frère jumeau, Stefan. Or, si les deux partageaient le même historique, ils étaient soumis à des règles bien différentes depuis leur retour à Montréal.

Viols en série

Georgi et Stefan Spitzer sont nés en Roumanie en 1956. Leurs parents ont immigré au Canada et obtenu la citoyenneté canadienne pour leurs enfants. Mais à l'âge adulte, ceux-ci sont partis vivre en Californie.

Selon la preuve déposée à leur procès là-bas, ils se seraient inventé divers personnages pour courtiser des jeunes femmes, en se disant notamment producteurs de cinéma. Ils droguaient leurs victimes au Rohypnol, une «drogue du viol» qui provoque pertes de conscience et trous de mémoire lorsque mélangée avec de l'alcool.

Les frères se filmaient ensuite l'un l'autre en train d'avoir des relations sexuelles avec les femmes inertes. Ils ont été condamnés pour enlèvement, sodomie et viol sur cinq femmes entre 1993 et 1996, mais plusieurs autres victimes n'ont jamais été retrouvées : les vidéos saisies chez les suspects montraient une vingtaine d'agressions. La poursuite estimait qu'ils avaient commencé leurs viols en série dès 1982. Ils dupaient aussi des femmes en se faisant passer l'un pour l'autre en alternance.

En septembre 2009, à sa sortie de prison, Georgi Spitzer a été expulsé vers Montréal. Le SPVM voulait l'arrêter pour déposer une accusation en vertu de l'article 810.2 du Code criminel. Cette disposition permet de traîner quelqu'un devant un juge pour qu'il s'engage à garder la paix et à respecter une série de conditions restreignant sa liberté, lorsque les autorités ont des raisons de croire qu'il représente un danger pour la sécurité de quelqu'un.

Mais les policiers montréalais n'ont jamais reçu la documentation nécessaire des autorités américaines. «Il a été libéré. On a essayé de déposer une demande en vertu de l'article 810.2, mais on n'avait pas obtenu le dossier des États-Unis, alors on n'a pas pu», avait raconté en 2014 un enquêteur appelé à clarifier cet imbroglio devant la cour.

Congédié puis arrêté

Georgi Spitzer a travaillé un temps comme vendeur de voitures après son retour Montréal, mais il a été congédié en raison de son «mauvais tempérament», selon des documents judiciaires déposés au palais de justice. Son ex-employeur affirme qu'il se montrait agressif avec certains clients ou collègues, allant jusqu'à hurler. Le patron a même raconté comment Spitzer avait interpellé la réceptionniste de l'entreprise, en lui disant qu'elle ne serait jamais prise au sérieux en raison de son apparence physique et en lui proposant plutôt de venir travailler comme mannequin en bikini pour un de ses amis (Spitzer nie avoir eu un comportement inapproprié et a déposé une poursuite pour congédiement injustifié).

La Presse avait révélé en 2014 l'arrestation de Georgi Spitzer pour une fraude alléguée commise en 2013, la même année que l'agression sexuelle dont il vient d'être accusé. Dans ce dossier, une autre femme tombée amoureuse de lui avait accepté de lui confier 100 000 $ pour l'investir, parce qu'il se disait avocat spécialisé en finance. Leur relation a vite pris fin et la dame dit s'être rendu compte que son argent avait disparu.

Georgi Spitzer avait ensuite été arrêté dans un casino de Windsor en possession de plus de 90 000 $. Son procès pour fraude s'est ouvert hier à Montréal. Son avocat, Me Paul Skolnik, a présenté une requête pour arrêt des procédures: il prétend que l'argent de son client a été saisi illégalement par la police ontarienne sur la base de simples soupçons, par des policiers qui connaissaient son passé. Il dit aussi avoir relevé des incohérences dans les versions des policiers au sujet de l'argent.

Le frère freiné dans ses élans

Le jumeau de Georgi Spitzer a connu un cheminement tout autre. Sorti de prison en 2014, Stefan a à son tour été expulsé vers Montréal.

Cette fois, le SPVM s'était bien assuré d'avoir tous les documents nécessaires 

en main. Il a été arrêté dès son arrivée au pays et emmené devant un juge, où on lui a imposé de sévères conditions à respecter, par crainte qu'il ne commette un crime.

Il doit rester chez lui la nuit, se rendre au poste de police chaque semaine, fournir les moindres détails sur son travail, ses déplacements, les véhicules auxquels il a accès. Il a aussi fourni ses empreintes digitales et un échantillon d'ADN et s'est inscrit au registre des délinquants sexuels.

Les archives judiciaires du palais de justice de Montréal montrent qu'en juin dernier, les policiers qui le tenaient à l'oeil ont commencé à s'inquiéter de ses agissements envers une femme de la région de Montréal (qui n'est pas liée aux dossiers de son frère). Ils craignaient qu'il ne s'en prenne à elle. Le SPVM n'a eu qu'à modifier ses conditions pour lui interdire de communiquer avec la dame ou de l'approcher. Stefan Spitzer a accepté cette nouvelle condition le 15 juin.

photo archives

Stefan Spitzer a été soumis à plusieurs conditions.