Sorti du pénitencier depuis deux mois et demi à peine, Lorenzo Giordano avait déjà commencé, semble-t-il, à reprendre sa place dans les hautes sphères de la mafia montréalaise. On nous a même dit qu'il était presque devenu le patron, mais qu'il avait les mains attachées par les sévères conditions auxquelles il était assujetti.

Les dirigeants du crime organisé montréalais, fortement étrillés depuis la frappe policière Magot-Mastiff de novembre dernier, lui auraient même confié, à sa sortie de prison, une partie des profits des très lucratifs paris sportifs, dont Giordano a été l'un des responsables avant l'opération Colisée. « Depuis sa libération, il était déjà très respecté. Et on le voyait très haut dans la hiérarchie », décrit une source policière.

Mais si Giordano était vu comme un sauveur pour certains, d'autres, visiblement, n'avaient pas la même opinion. Impulsif et violent, Giordano s'est fait beaucoup d'ennemis dans le passé. « Trop de sang a coulé. Des gens vont lui en vouloir. Il ne fera peut-être pas l'unanimité et il va peut-être mourir lui aussi », a dit l'un de nos informateurs avant les fêtes. Une déclaration presque prophétique aujourd'hui.

EN CONFIANCE

Giordano a été pris complètement par surprise hier matin. Il était passager avant dans un véhicule conduit par une femme qui l'accompagnait régulièrement au complexe Multisports. Celle-ci venait de garer la voiture devant le gym lorsque le tireur se serait approché, aurait fracassé la vitre du véhicule du côté passager et aurait tiré plusieurs projectiles sur Giordano, l'atteignant au cou.

Le mafioso se rendait pratiquement tous les jours, à la même heure, dans ce centre de conditionnement physique de Laval. Il maintenait une routine, ce qui laisse penser qu'il ne se sentait pas en danger. Tout porte à croire que Giordano n'a jamais été avisé par les policiers que sa vie était menacée car, comme le veulent les procédures, il aurait été obligé d'aviser son agent de libération et serait vraisemblablement retourné au pénitencier pour continuer de purger sa peine qui prenait fin en 2019.

PARRAIN POTENTIEL

Giordano était pressenti par nos sources comme un parrain potentiel de la mafia montréalaise. Certaines d'entre elles émettent l'hypothèse que son élimination signifie que tout individu qui tentera de se hisser plus haut que les autres au sein de la mafia signera son arrêt de mort. Son meurtre annoncerait la fin des parrains à Montréal et signifierait que l'avenir du crime organisé repose maintenant inévitablement sur une alliance entre la mafia, les motards et les autres groupes criminels d'importance, comme celle qui a été décapitée lors de l'opération Magot en novembre.

Ces sources se demandent également si la mort de Giordano, en qui certains mafiosi auraient fondé beaucoup d'espoir, annonce la fin de la domination des grandes familles mafieuses à Montréal et signifie que l'avenir passe maintenant par de petits clans, qui auront chacun un territoire limité et qui devront s'entendre pour éviter les conflits.

« Il y aura d'autres meurtres », croient plusieurs de nos sources. La mort de Giordano marque vraisemblablement un changement de garde et le début d'une nouvelle ère.

Pour joindre Daniel Renaud en toute confidentialité, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

QUI ÉTAIT LORENZO GIORDANO ? 

• 52 ans

• Un des six principaux lieutenants de la mafia montréalaise, accusé dans l'opération Colisée

• Giordano était le principal capitaine de Francesco Arcadi, qui avait remplacé Vito Rizzuto dans les opérations de la rue, à la suite de l'arrestation du parrain en 2004.

• Il serait devenu homme d'honneur de la mafia montréalaise au début de la même année.

• Toujours en 2004, Giordano avait blessé par balle un trafiquant d'héroïne lors d'une dispute sur la rue Saint-Laurent. Il était reconnu pour être violent et impulsif.

• Lui et son bras droit, Francesco Del Balso, étaient responsables des paris en ligne de la mafia, qui ont généré des millions de dollars en profits.

• Giordano était en cavale le jour de l'opération Colisée et a été arrêté à Toronto six mois plus tard.

• Il a été condamné à 15 ans de pénitencier pour gangstérisme à la suite de l'opération Colisée.

• Il a été libéré d'office à la mi-décembre, sous de fortes conditions, notamment de rester en maison de transition. Il portait un bracelet GPS.

Photo La Presse

Lorenzo Giordano

Des acteurs importants de la mafia montréalaise

ROCCO SOLLECITO, 67 ANS

Jusqu'à tout récemment du moins, Rocco Sollecito encadrait la nouvelle table de direction de la mafia montréalaise, à laquelle siégeait son fils Stefano, mise en place après la mort naturelle du parrain Vito Rizzuto en décembre 2013. Mais Stefano Sollecito a été arrêté en novembre dernier dans l'opération Magot qui a décapité le crime organisé montréalais. Rocco Sollecito, qui avait été condamné à huit ans de pénitencier après l'opération Colisée, serait le plus haut gradé dans la hiérarchie des hommes d'honneur de la mafia montréalaise.

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Rocco Sollecito

FRANCESCO ARCADI, 62 ANS

Calabrais d'origine, Francesco Arcadi faisait partie des six principaux lieutenants de la mafia sicilienne de Montréal arrêtés lors de l'opération Colisée, le 22 novembre 2006. Il a été condamné à 15 ans de pénitencier pour gangstérisme et a été libéré d'office, sous de fortes conditions, il y a à peine deux semaines. Arcadi avait remplacé Vito Rizzuto dans les opérations de la rue de la mafia après l'arrestation du parrain en 2004 et son extradition vers les États-Unis en 2006. Son règne n'avait pas fait l'unanimité au sein des différents clans de la mafia.

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Francesco Arcadi

VITO SALVAGGIO, 41 ANS

Selon nos informations, Vito Salvaggio, qui aurait été proche de Nick Rizzuto Jr, assassiné en décembre 2009, aurait siégé à la nouvelle table de direction de la mafia mise en place après la mort de Vito Rizzuto. Salvaggio serait impliqué dans le restaurant Dilallo de la rue Jean-Talon, cible d'un cocktail Molotov le 10 décembre dernier. Il a été arrêté dans l'opération Printemps 2001, accusé de complot et de trafic de stupéfiants, et condamné à quatre ans de pénitencier.

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Vito Salvaggio

LIBORIO CUNTRERA, 47 ANS

Liborio Cuntrera, alias Poncho, n'a pas d'antécédents criminels mais, selon nos sources, il aurait lui aussi fait partie de la table de direction de la mafia mise en place après la mort du parrain. Liborio est le fils d'Agostino Cuntrera, surnommé le Seigneur de Saint-Léonard, un ancien homme d'honneur de la mafia et proche des Siciliens assassiné devant son entreprise en juin 2010. Le nom de Liborio Cuntrera avait été évoqué dans une enquête de la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) baptisée Alkali et visant à élucider une série d'incendies criminels commis dans des cafés en 2010.

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Liborio Cuntrera

ANDREA SCOPPA, 52 ANS

Le nom de cet énigmatique chef de clan de la mafia décrit comme étant très intelligent résonne dans les rues de Montréal depuis des décennies. Très actif dans le marché de l'héroïne, nous disent nos sources, Andrea Scoppa, alias Andrew, traîne une réputation d'insaisissable, lui qui a pratiquement comme seuls antécédents criminels une condamnation à six ans de pénitencier en 2004 pour une affaire d'importation de cocaïne via les États-Unis. Scoppa est aussi très proche des motards.

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Andrea Scoppa

SALVATORE SCOPPA, 46 ANS

Le frère d'Andrea Scoppa serait lui aussi impliqué dans l'héroïne. Son nom est notamment sorti de la bouche d'un enquêteur lors de l'enquête sur remise en liberté d'un étudiant universitaire, présumé vendeur d'héroïne, arrêté par le SPVM l'automne dernier. Selon nos sources, Salvatore Scoppa prendrait de plus en plus de place depuis quelques mois, en particulier dans le quartier Rivière-des-Prairies. Un contrat qui pesait sur sa tête l'a forcé à s'éloigner temporairement de la métropole, l'automne dernier.

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Salvatore Scoppa

GIANPIETRO TIBERIO, 43 ANS

Jusqu'à tout récemment, Gianpietro Tiberio, alias JP, a toujours été associé au clan Rizzuto et aurait été proche de Domenico Macri, l'étoile montante de la mafia, tué en août 2006, quelques semaines avant l'opération Colisée. Après une éclipse de plusieurs années, le nom de Tiberio est entendu de plus en plus, depuis quelques mois. Tiberio serait devenu lui aussi une étoile montante au sein de la mafia montréalaise. En 2009, il a été condamné à trois ans de pénitencier pour une affaire de complot.

VITTORIO MIRARCHI, 38 ANS

Le protégé du caïd Raynald Desjardins est détenu depuis le 21 décembre 2011 et est toujours en attente de procès pour le meurtre de l'aspirant parrain Salvatore Montagna, commis en novembre 2011, à Charlemagne. Même si Mirarchi risque de demeurer encore quelques années en prison, nos sources croient que l'on ne doit pas l'exclure de l'équation. Mirarchi, qui est associé à la cellule calabraise de la mafia de Montréal, bénéficierait de forts appuis en Ontario.

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Vittorio Mirarchi