Le budget des équipes antiterroristes de la GRC, en croissance presque constante depuis leur création, en 2001, a fait un bond jamais vu l'an dernier lorsque le corps policier fédéral y a redirigé près de 50 millions de dollars pigés à l'interne dans ses autres services, dont certains se serrent la ceinture comme jamais.

Les derniers chiffres communiqués à La Presse par la police montée sont sans équivoque: le coût de la lutte contre le terrorisme aujourd'hui n'a aucune commune mesure avec celui de l'époque de la guerre en Afghanistan et de la chasse à Oussama ben Laden, au début des années 2000.

La création des Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN), qui se consacrent en priorité aux enquêtes antiterroristes, a été décidée peu après les attentats du 11 septembre 2001. Pour l'année 2001-2002, les EISN se partageaient un maigre budget de 2 millions de dollars.

Ce budget a crû de façon exponentielle au fil des ans, à l'exception d'une très légère baisse entre 2009 et 2011. Le fonds de roulement de base de ces équipes est pourtant le même depuis plus de 10 ans, soit 10 millions par année. Mais cette somme de base est complétée chaque année par une «réaffectation à l'interne» des ressources puisées ailleurs dans l'organisation de la GRC.

En 2002-2003, le corps policier avait ainsi puisé 3,1 millions dans le budget de ses autres équipes pour venir complémenter le budget antiterroriste. En 2013-2014, la réaffectation avait atteint 22,9 millions. En 2014-2015, ce sont 47,3 millions qui ont été détournés d'autres postes de dépenses vers les EISN, qui disposaient ainsi d'un budget réel total de 57,3 millions, un record absolu, pour enquêter sur les terroristes d'un océan à l'autre.

À l'interne, peu de policiers contestent l'importance de multiplier les enquêtes sur la menace terroriste, surtout dans la foulée des attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa ainsi que du départ de nombreux Canadiens qui ont rejoint des groupes djihadistes au Moyen-Orient et en Afrique.

Il reste que selon nos informations, certaines équipes affectées à d'autres formes de criminalité ont commencé à manifester leur frustration devant la perte de leurs ressources redirigées vers l'antiterrorisme. Car le budget global de la GRC a beau avoir augmenté de manière importante depuis le début du siècle (il était de 1,7 milliard en 2001-2002, contre 3 milliards en 2014-2015), sa croissance n'a pas suivi celle des dépenses antiterroristes, qui ont presque été multipliées par 30.

«Je n'avais jamais vu ça»

«Au cours des dernières années, la GRC a dû procéder à une réaffectation à l'interne de son budget afin de répondre au contexte changeant de menaces reliées à la sécurité nationale. De ce fait, certaines ressources de la police fédérale consacrées aux enquêtes dans d'autres domaines, tels la criminalité financière ou le crime organisé, ont été réaffectées aux enquêtes reliées à la sécurité nationale», explique le sergent Harold Pfleiderer, porte-parole du corps policier.

Dave Charland, un ancien agent de terrain du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), a été détaché pendant deux ans par son ancien employeur pour travailler au sein d'une EISN. Il n'avait jamais vu un milieu de travail avec tant de ressources.

«Je n'avais jamais vécu ça. Je venais du SCRS, où des heures supplémentaires étaient payées rarement, de façon exceptionnelle... Alors que là, c'était beaucoup plus facile. Si tu voulais travailler presque tous les soirs et les fins de semaine, c'était possible. Et quand les policiers étaient tous occupés, on allait en chercher d'autres pour aider. J'ai vu une enquête qui a nécessité jusqu'à 100 policiers. C'était impressionnant», se souvient-il.

- Avec la collaboration de William Leclerc