Les deux agents de l'UPAC venus constater dans la chaleur étouffante du Panama si Arthur Porter était bien mort ou s'il avait joué un mauvais tour à la justice n'ont pas encore vu sa dépouille de leurs propres yeux, mais ont été bien accueillis par les autorités locales, a appris La Presse.

Les agents de l'Unité permanente anticorruption auraient reçu des indications fermes de leurs vis-à-vis panaméens quant au fait que Porter a réellement succombé à son cancer.

Toujours selon ce qu'il a été permis d'apprendre hier, le corps de l'ex-administrateur au centre de «la plus grande fraude de corruption de l'histoire du Canada» aurait quitté l'Institut d'oncologie - où son certificat de décès situe sa mort, mardi soir - pour être transféré dans une «morgue judiciaire» sous l'autorité des forces de l'ordre. La famille Porter n'y aurait pas accès dans ces lieux.

Des formalités administratives devaient toutefois être remplies avant que les Québécois puissent avoir accès à la dépouille. La situation devrait progresser pendant la fin de semaine, afin que des preuves irréfutables du décès soient offertes lundi.

Jeudi, l'UPAC a annoncé qu'elle envoyait deux agents au Panama afin de s'assurer qu'Arthur Porter était réellement passé de vie à trépas, comme son biographe officiel l'avait affirmé la veille. L'ex-grand patron du CUSM traînait une réputation de fin renard et les policiers anticorruption voulaient être certains de ne pas laisser filer l'une de leurs cibles les plus importantes.

Une «coquille vide»

Par ailleurs, l'ex-ministre panaméen qui s'est lancé en affaires avec Arthur Porter un an à peine avant le mystérieux décès de celui-ci jure que leur entreprise commune n'a jamais brassé un seul sou. Et qu'elle n'a pas servi à faire transiter les présumés millions sales de la corruption.

Mario Rognoni, ministre du Commerce pendant une partie du règne du narcodictateur Manuel Noriega, a assuré à La Presse que BQ Holding n'existait que sur papier et n'avait même pas de compte bancaire.

Selon un registre public du Panama, l'entreprise compte M. Rognoni et Porter comme administrateurs et est présidée par Ricardo Bilonick, l'avocat de Porter. Ce dernier a aussi représenté Manuel Noriega après sa chute. Leur «holding» a été créée en juin 2014, alors qu'Arthur Porter était derrière les barreaux.

«C'était une société de papier», a expliqué, hier, Mario Rognoni. L'entreprise devait servir à réaliser des projets commerciaux partout dans le monde, parce que Porter «avait tant de contacts à l'étranger, notamment en Afrique». Mais elle n'aurait jamais servi.

«L'entreprise ne détenait même pas de compte bancaire», a dit l'ex-ministre devenu commentateur politique et homme d'affaires. Elle n'aurait donc pas pu servir à faire transiter les millions que les autorités canadiennes le soupçonnent d'avoir illégalement touchés lorsqu'il dirigeait le CUSM. «Je ne sais pas combien d'argent il avait, ni où il était. [...] Nous n'en avons jamais parlé», a-t-il ajouté.

Les Québécois doutent

Selon nos informations, les procureurs québécois du Bureau de lutte aux produits de la criminalité vont tout de même vouloir passer au peigne fin toutes les informations disponibles sur les affaires qu'a pu brasser Arthur Porter au Panama au cours de la dernière année. L'objectif est toujours de récupérer la totalité des 22,5 millions qui auraient été versés en pots-de-vin dans l'affaire du CUSM.

BQ Holding n'est pas la seule «coquille vide» que M. Porter laisse dans son sillage. Le premier ministre Philippe Couillard avait évoqué le même scénario pour expliquer l'inscription de Porter, Couillard et associés au Registre des entreprises du Québec. La société avait été créée en 2010 après que l'ex-ministre de la Santé eut quitté la politique.

Hospitalisation tardive

M. Rognoni - qui ne doute pas du décès de M. Porter - a indiqué qu'il lui avait parlé pour la dernière fois quelques jours après son arrivée à l'Instituto oncológico nacional, le 8 mai dernier.

«Très triste», il dit regretter que les autorités panaméennes aient trop tardé à hospitaliser le détenu, «alors qu'il se savait malade depuis 2013». «Peut-être aurait-il pu vivre plus longtemps», a ajouté Mario Rognoni.

Dans des messages envoyés à La Presse, un camarade de prison néerlandais d'Arthur Porter a émis la même opinion. «Il a dû attendre trop longtemps avant que les autorités panaméennes ne le transfèrent à l'hôpital», a-t-il affirmé. Mais il savait «que ça devait se terminer», a-t-il ajouté. «Il était très très malade.»

- Avec Vincent Larouche