Les conditions de détention «inhumaines» dans lesquelles a vécu, dans un pays étranger, un citoyen canadien accusé ici doivent-elles être prises en compte au moment du prononcé de la peine? Un juge de la Cour du Québec devra se pencher sur le sujet aujourd'hui, au palais de justice de Montréal, dans une affaire d'importation de cocaïne mise au jour par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2011.

Peu connue du public, l'opération Cynique a débouché sur une autre enquête contre la mafia, baptisée Clemenza, au cours de laquelle le caïd Raynald Desjardins a été arrêté avec de présumés complices pour le meurtre de l'aspirant parrain Salvatore Montagna, et la relève du défunt chef de clan Giuseppe De Vito a ensuite été démantelée.

Une dizaine d'individus ont été arrêtés dans le cadre de l'opération Cynique, dont un citoyen canadien d'origine colombienne, Kelvin Mestre, appréhendé à Barranquilla, en Colombie, le 11 mai 2011. Avant d'être extradé au Canada, l'homme a passé 11 mois dans la pire prison du pays, La Picota, située à Bogota.

Dans sa requête, vidéo à l'appui, son avocat, Me Claude Olivier, décrit les conditions de détention «inhumaines, indignes et inacceptables même pour les animaux» dans lesquelles son client a vécu: surpopulation, locaux décrépits, air vicié, insalubrité, humidité, absence d'hygiène, moisissures, nourriture avariée, maladies, climat constant de terreur. Cela, alors que Mestre était emprisonné en compagnie de membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et des ravisseurs d'Ingrid Bétancourt, entre autres.

L'avocat fait également valoir qu'à aucun moment son client n'a été mis au courant des raisons pour lesquelles il avait été appréhendé, qu'il n'a pas comparu devant un juge en Colombie, qu'il n'a donc jamais été inculpé et que sa détention dans ce pays était illégale. Il écrit également que Mestre n'a jamais reçu la visite des policiers canadiens pour lui expliquer la situation, et que le détenu a fait de multiples demandes pour quitter ces conditions exécrables et être extradé au Canada, en vain. Le détenu serait revenu au pays avec de graves problèmes de santé.

«La détention du requérant, ou, plus particulièrement, les conditions dans lesquelles il fut détenu constituent un traitement cruel et inusité, l'un des pires que l'on puisse imaginer dans de telles circonstances, qu'elles entachent à elles seules le système judiciaire, le tout contrairement à l'article 12 la Charte des droits et libertés», écrit Me Olivier dans sa requête, ajoutant que le Canada a aussi contrevenu à une entente internationale, qu'il a signée, sur le traitement des détenus.

Peine déjà purgée

Mestre est finalement arrivé au Québec le 20 avril 2012 et a plaidé coupable juste avant Noël à des accusations d'importation, possession et trafic de cocaïne.

Au cours des dernières années, plusieurs jugements ont été rendus au Canada accordant au moins un jour et demi pour chaque jour de détention préventive vécu par des détenus, en raison des conditions d'emprisonnement de prisons comme La Picota, incomparables à celles des établissements canadiens.

L'avocat fait valoir que si ce calcul était effectué, son client aurait déjà purgé 66 mois de sa peine éventuelle, soit plus qu'un autre accusé de l'opération Cynique, dont l'implication dans les complots est semblable, et qu'il aurait donc déjà purgé plus que sa sentence.

Il demande donc l'arrêt des procédures contre son client ou, à tout le moins, que ce dernier soit libéré en attendant de recevoir sa sentence.

Cette requête inusitée sera débattue aujourd'hui devant le juge Louis Legault.