Les vols de métaux constituent une véritable menace pour la «sécurité publique» et ont coûté plus de 28 millions en 2011 aux entreprises, ministères, municipalités ou sociétés d'État, selon la Sûreté du Québec (SQ), qui a dressé un rare portrait de ce fléau au Québec dans un rapport obtenu par La Presse.

Dans ce rapport qui date de novembre 2013, la SQ, qui a colligé ses informations et celles des corps de police municipaux, recense 3044 vols en 2011. Et seuls 12,5% des dossiers ont été résolus.

Le coût moyen des dommages est évalué à 4037$ et le coût moyen du matériel volé, à 5295$. On arrive donc à une facture de 28,4 millions pour le remplacement et la réparation des infrastructures, en 2011 seulement.

Selon l'Association canadienne de l'électricité (ACÉ), qui représente les plus grandes sociétés d'électricité au Canada, dont Hydro-Québec, les vols de métaux entraînent des pertes de 30 millions en moyenne par année pour l'ensemble de ses membres.

Les vols de métaux, particulièrement de cuivre, ont explosé partout dans le monde depuis l'augmentation de la demande de matières premières. Comme le cuivre se recycle à 100% et que son prix sur le marché est élevé (7560$ la tonne métrique en septembre ou environ 3$ la livre), il est le métal préféré des voleurs.

Le cuivre se retrouve notamment dans des fils de téléphonie, des lampadaires, des feux de circulation, des systèmes d'alarme ainsi que des infrastructures de transport et de production d'électricité. Les infrastructures d'Hydro-Québec, le ministère des Transports du Québec, les entreprises de télécommunication et de câblodistribution, les alumineries et les municipalités sont particulièrement visés.

Vols dangereux

Ce type de vol n'est pas sans risque. «Au cours des six dernières années, l'ACÉ compte neuf décès de personnes lors de vols de cuivre au Canada», affirme Francis Bradley, vice-président, sécurité et infrastructures, à l'ACÉ. Il y a 10 jours, un homme a d'ailleurs été trouvé mort électrocuté sur des installations d'Hydro One à London, en Ontario.

«Les vols de métaux [...] causent des dommages non négligeables, qui sont inquiétants pour la collectivité. Ces vols menacent parfois la sécurité publique en provoquant des interruptions de service, des pannes de courant, etc.», peut-on lire dans le rapport de la SQ.

À Saint-Étienne-des-Grès, en 2011, le vol de cuivre a entraîné l'interruption des transactions par carte de débit et de crédit dans plusieurs commerces et des services téléphoniques.

L'an dernier, une série de vols sur des lampadaires de l'arrondissement de Saint-Laurent avait plongé des parcs et des quartiers entiers dans le noir pendant plusieurs mois. Selon le maire Alan DeSousa, ces vols ont coûté 60 000$ à l'arrondissement l'an dernier, sans compter le temps de travail des employés pour effectuer les réparations. Depuis quelques semaines, les vols ont repris.

Plus grave encore, en mars 2013 en Colombie-Britannique, des voleurs s'en sont pris aux poteaux de transport sur un tronçon de 62 km d'une route isolée pendant près d'un an. Les habitants de la réserve des Dititahs recevaient des décharges électriques dans leur maison, tout comme les enfants d'une école voisine, où la clôture de la cour était devenue électrifiée. Ils ont aussi été privés d'électricité pendant 72 heures, mais personne n'a été blessé.

«Ça prendrait des lois dans toutes les provinces pour garder une trace des transactions et des informations sur le vendeur, et éliminer les transactions en argent comptant, comme cela a été introduit en Colombie-Britannique [en 2012]», souligne M. Bradley, de l'ACÉ. L'Alberta a également voté un projet de loi semblable en 2013.

Au Québec, un Comité de concertation sur les impacts du vol et du recel des métaux s'est inscrit au Registre des lobbyistes afin qu'une loi soit votée pour encadrer le commerce et le recyclage de la ferraille. Le comité a rencontré l'été dernier des représentants du gouvernement et des partis de l'opposition à ce sujet. Le porte-parole du comité, Stéphane Couture, directeur des affaires gouvernementales chez Bell, n'a pas rappelé La Presse.

Projet de loi

La Coalition avenir Québec (CAQ) a décidé de réagir et déposera aujourd'hui un projet de loi pour encadrer les transactions et le recyclage des métaux. Le parti propose d'obliger les recycleurs de métaux à vérifier l'identité des vendeurs et à tenir un registre sur les transactions et l'origine des métaux, notamment. Le projet prévoit aussi la création de permis pour les recycleurs. Un vendeur qui contrevient à la loi pourrait recevoir des sanctions pénales jusqu'à 45 000$. Des inspecteurs seraient aussi chargés d'assurer le respect de la loi.

«Ça fait des années que l'industrie nous en parle [de ce problème] et personne ne bouge. [...] J'espère que M. Couillard va appuyer ce projet de loi, je cherche leur collaboration, il n'y a aucune partisanerie dans ce projet, c'est une question de sécurité publique et ça peut être adopté rapidement», affirme Marc Picard, député de la CAQ qui déposera le projet.

Jean-Philippe Guay, porte-parole de la ministre de la Sécurité publique, affirme que le gouvernement est très sensible aux préoccupations des entreprises privées. Le gouvernement attend de prendre connaissance du projet de loi avant de se prononcer.

Qui sont les voleurs?

Selon les données de la SQ, 53% des vols sont commis par un individu qui agit seul. Plusieurs voleurs ont des antécédents criminels en matière de vols, fraude, voies de fait ou trafic de stupéfiants. Quant aux ferrailleurs qui achètent les métaux, la SQ affirme qu'il demeure difficile d'évaluer leur «degré d'implication». «Toutefois, on peut croire que, face à une transaction avantageuse, beaucoup pratiquent l'aveuglement volontaire», peut-on lire dans le rapport, dont plusieurs portions ont été caviardées. «Des données laissent croire que certains ferrailleurs joueraient le rôle de facilitateurs dans le vol de métaux.» Certains voleurs se sont même lancés en affaire en créant leur propre entreprise de recyclage de métaux, y lit-on également. Certains réseaux ont des entreprises dans d'autres pays, ce qui faciliterait la vente de métaux.  Quelques actionnaires seraient également suspectés d'effectuer du blanchiment d'argent », indique le rapport. Plusieurs vendeurs paient leurs transactions en espèces.