Des diplomates étrangers qui travaillent au Canada puisent sans scrupules dans les comptes bancaires de leurs domestiques pour se payer des repas dans des restaurants très chers, s'offrir des vêtements dans des boutiques hors de prix, dévaliser les rayons de Costco ou simplement retirer d'énormes sommes d'argent dans les guichets automatiques.

Des documents d'accès à l'information jettent une lumière particulièrement crue sur la «servitude» manifeste (le mot est d'Ottawa) qui sévit dans les murs très opaques de certaines délégations étrangères au pays, une réalité que La Presse avait entrepris de décrire le mois dernier.

Le Canada enquête sur le problème de diverses façons, notamment par des entretiens avec des domestiques très peu au courant de leurs droits et souvent incapables de s'exprimer en français ou en anglais.

Les autorités canadiennes ne sont pas dupes, constate-t-on à la lecture de documents.

Après avoir donné des exemples de dépenses «qu'on n'imagine pas de domestiques», les autorités canadiennes en arrivent par exemple à soupçonner, dans un cas précis, que les diplomates se servent allègrement dans les pseudo-comptes de leurs domestiques, avec pour résultat que ces employés ne sont possiblement «pas payés du tout», finalement.

Si le gouvernement canadien fait enquête et réclame que soient respectées les lois canadiennes, il est limité dans son action par l'immunité et les privilèges que confère la convention de Vienne aux diplomates et à leur famille.

N'empêche, dans un cas particulier, après avoir fait pression et exigé des preuves de paiement, Ottawa a réussi à ce qu'un domestique reçoive les 22 000$ qu'on lui devait.

À au moins deux reprises, Ottawa a aussi interdit à une délégation étrangère d'embaucher des domestiques jusqu'à ce que des irrégularités soient corrigées.

Dans les échanges de courriels que l'on a pu consulter, on constate que les autorités canadiennes exigent notamment que cesse le paiement en argent comptant des domestiques (afin de protéger un peu mieux les employés et non pas à des fins fiscales, le travail dans les délégations étrangères n'étant pas imposé).

À quel point les conditions de servitude sont-elles répandues dans les délégations étrangères?

Des documents confidentiels obtenus le mois dernier par La Presse démontraient qu'au moins huit missions diplomatiques étaient sous surveillances pour diverses violations du droit du travail et de la personne, à savoir celles du Bangladesh, de l'Indonésie, du Nigeria, de l'Arabie saoudite, du Qatar, des Philippines, du Kenya et du Ghana.

Appelé à commenter ces informations, Ian Trites, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, assure que le gouvernement canadien applique «la tolérance zéro en ce qui a trait aux allégations de crimes perpétrés par des membres de la communauté diplomatique».

Il rappelle que le Ministère fait la promotion des lois canadiennes notamment par des campagnes d'éducation et de sensibilisation auprès des diplomates, des entretiens avec des domestiques pour veiller à ce qu'ils connaissent leurs droits et des vérifications régulières et aléatoires de paiements.

- Avec William Leclerc