La traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle est «très répandue au Canada», mais le manque de ressources allouées à ces enquêtes coûteuses et complexes condamne  la plupart des victimes à rester sous l'emprise d'impitoyables trafiquants.

C'est ce que conclut le Centre national de coordination contre la traite de personnes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), dans le Projet Safekeeping, une évaluation de la traite interne des personnes à des fins d'exploitation sexuelle au pays.

«Les enquêtes sur la traite de personnes menées jusqu'à présent au Canada ont seulement dévoilé la pointe de l'iceberg», lit-on dans ce rapport. «À certains endroits au pays, les organismes et agents d'application de la loi ne mènent pas d'enquête sur la traite de personnes parce qu'ils ne connaissent pas toujours les dispositions législatives relatives à ce crime, ne comprennent pas bien le crime, manquent de ressources ou ont d'autres priorités.»

Le rapport de la GRC révèle qu'à elle seule, l'équipe de la région Ouest du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a ciblé, en 2012 et en 2013, environ 65 suspects qui pourraient être impliqués dans la traite de personnes. Ces suspects, associés à des gangs de rue, sont liés à des fugueuses, des danseuses et des prostituées, avec lesquelles ils sont agressifs.

Faute de moyens, aucun d'eux n'a pourtant été arrêté. «En raison d'un manque de ressources opérationnelles et de main-d'oeuvre et à cause de priorités concurrentielles, il n'a pas été possible de recueillir plus de renseignements ou d'enquêter de manière proactive sur les activités de traite de personnes des suspects identifiés et sur les victimes potentielles», lit-on dans le rapport.

Les enquêtes sur la traite de personnes reposent presque entièrement sur la coopération des victimes. Pour les policiers, obtenir leur confiance nécessite énormément de temps et d'efforts. «Pour cette raison, les ressources affectées à ces enquêtes sont limitées et la priorité est souvent accordée à d'autres affaires», souligne le rapport, qui recommande la création d'escouades spécialisées pour enquêter sur ces crimes.

En décembre, le gouvernement fédéral a d'ailleurs fait un premier pas en ce sens en annonçant la mise sur pied d'une première équipe de lutte contre la traite de personnes. Basée à Montréal, l'équipe comptera une douzaine d'enquêteurs de la GRC et sera dotée d'un budget annuel de

2 millions de dollars.

Le Centre national de coordination contre la traite de personnes de la GRC a épluché 132 affaires de traite de personnes signalées entre 2007 et 2013 au Canada. Son rapport, baptisé Projet Safekeeping, dresse le portrait des victimes et des trafiquants, en plus d'exposer leur modus operandi.

Les victimes

Elles sont âgées de 14 à 22 ans. Environ 40% d'entre elles sont mineures. La plupart sont Canadiennes, de race blanche. Les plus vulnérables ont besoin d'argent, d'amour ou d'affection. Près de la moitié des victimes n'avaient aucune expérience de la prostitution quand elles ont été recrutées. En fait, prévient la GRC, de plus en plus de femmes «relativement stables» tombent dans le piège des trafiquants.

Les trafiquants

Âgés de 19 à 32 ans, ils sont Canadiens, de différentes origines ethniques. Ce sont généralement des hommes, mais on compte de plus en plus de femmes dans leurs rangs. Au Canada, dans près de la moitié des cas, les trafiquants sont associés à des gangs de rue. Au Québec, cette proportion grimpe à 70%. Jusqu'ici, dans la province, des accusations de traite ont été déposées contre 52 membres de gangs de rue - aucune contre des motards.

L'appât du gain

Pour les trafiquants, c'est le crime parfait, puisque la ressource ne coûte rien, rapporte gros et peut être exploitée pendant de nombreuses années. La plupart du temps, les trafiquants récoltent tous les profits. Parfois, ils fouillent même leurs victimes pour s'assurer qu'elles ne cachent pas d'argent.

Un trafiquant qui force une victime à fournir des services sexuels à des clients tous les jours fait des profits de 3500$ à 7000$ par semaine.

Les dettes

Les trafiquants imposent des dettes à leurs victimes pour établir leur domination. Ils leur disent qu'elles doivent rembourser les sorties au restaurant, la drogue et les vêtements offerts au début de leur relation. Plusieurs fixent aussi des «droits de départ» aux femmes qui veulent les quitter ou cesser de se prostituer. Ces droits sont si élevés - jusqu'à 365 000$ - qu'elles ne pourront jamais les payer.

Montréal, ville ouverte

Les trafiquants sévissent partout au Québec, mais sont particulièrement actifs à Montréal. Depuis 2007, les trois quarts des 40 accusations de traite déposées dans la province l'ont été dans la métropole. «La demande de services de prostitution est élevée dans cette ville en raison des nombreux bars de danseuses nues qui attirent des résidants locaux et des touristes d'autres provinces et des États-Unis», lit-on dans le rapport. «Depuis 2010, plusieurs trafiquants à Montréal exploitent leur propre agence d'escortes ou salon de massage.»