La firme BT Céramique a été condamnée pour fraude fiscale, éclaboussée à la CEIC et bannie des contrats publics jusqu'en 2016. Son patron Francesco Bruno a aussi été arrêté par la GRC pour fraude.

En parallèle, discrètement, une société clone de BT a vu le jour, obtenu une licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et vient même d'empocher un important contrat au CHUM, a appris La Presse. L'Autorité des marchés financiers (AMF) et la RBQ avouent leur impuissance devant ce genre de manoeuvre.

La firme BT Céramique exerce ses activités boulevard Henri-Bourassa Est. Elle est dirigée par Francesco Bruno. Au même endroit, on trouve aussi Groupe BT Céramique et désormais la firme Carrelage FN Int'l (enregistrée aussi comme société à numéro), dirigée par le fils de Francesco Bruno, Fabrizio, dont l'adresse civique à Laval est la même que celle de son père.

«Je ne connais pas BT Céramique, soutient Fabrizio Bruno lors d'un bref échange avec La Presse [...] Moi je suis Carrelage FN, je n'ai pas d'affaire avec BT Céramique.» Devant notre insistance, Fabrizio Bruno finit par lâcher: «Je ne pourrai répondre à vos questions, faut contacter monsieur Bruno [Francesco]" !

Contrat de 600 000$

C'est à Carrelage FN que le consortium Pomerleau-Verreault a attribué un important contrat de fourniture et pose de céramique dans les parties communes du centre de recherche du CHUM, inauguré cette semaine.

Pomerleau indique avoir fait toutes les vérifications avant d'octroyer ce contrat «d'environ 600 000$": «Ils ne figurent pas sur le Registre des entreprises non admissibles [RENA]", dit la porte-parole Caroline Van Der Meer.

Carrelage FN Int'l a été créée en février 2012, un mois après que BT Céramique eut annoncé avoir "renoncé" à sa licence RBQ, et reconnu sa culpabilité à huit chefs d'évasion fiscale. En mars 2012, la Régie du bâtiment octroyait pourtant une licence à Carrelage FN. Groupe BT Céramique détient lui aussi un certificat en bonne et due forme.

L'étau se resserre

À la RBQ, on explique n'avoir d'autre choix que de fonctionner au sein du «cadre légal» existant: «Lorsqu'une entreprise demande une licence, dit Sylvain Lamothe, on vérifie qui sont les dirigeants et leurs antécédents. Si on apprend par la suite que la réalité est différente, comme le recours à un prête-nom, on agit. Il y a enquête, intervention et éventuellement sanction».

Ces derniers mois, plusieurs sociétés controversées ont changé de nom et d'administrateurs, ou ont été remplacées par une autre entité opérant au même endroit. Mivela, du célèbre «Monsieur Trottoir», alias Nicolo Milioto, est devenue Construction Irebec. L'entreprise de Normand Trudel à Mascouche est devenue Axika, dirigée par son fils.

«Beaucoup d'entreprises vont jouer sur les patinoires qui leur sont encore ouvertes», constate Sylvain Théberge, de l'AMF. C'est son organisme qui délivre des certificats «d'intégrité", sésames pour avoir le droit de soumissionner des contrats publics de plus de 40 millions de dollars. Ce seuil sera abaissé prochainement à 10 millions, dit-il.

À Montréal, le seuil est de 100 000$. Mais plusieurs entreprises évitent de solliciter cette autorisation de peur d'être bannies des contrats publics. Cela leur permet de soumissionner des contrats non touchés par les balises et règles édictées ci-dessus.

«Tant BT Céramique que Carrelage FN n'ont pas de certificat de l'AMF, mais pour des raisons de confidentialité, je ne peux pas dire s'ils ont déjà présenté une demande», ajoute M. Théberge.

Selon lui, les entreprises éclaboussées par des scandales vont avoir de plus en plus de difficulté, au fur et à mesure que le législateur donnera des tours de vis.

La semaine dernière, le président du Conseil du Trésor Stéphane Bédard a annoncé son intention de resserrer les filets de la Loi 1 sur l'intégrité en l'appliquant aux entreprises sous-traitantes. Elles aussi devront obtenir leur accréditation de l'AMF avant de soumissionner des contrats. Mais ces nouvelles règles destinées à enrayer le stratagème de l'entreprise-paravent ne s'appliqueront qu'aux contrats octroyés par Montréal.

«Tu partiras pas d'icitte»

Martin Carrier, patron de la firme Céramique Lindo (Lévis) a témoigné à la commission Charbonneau en novembre 2012 des menaces qu'il avait reçues du mafieux Francesco Del Balso, en 2004, après qu'il eut soufflé un important contrat à BT Céramique. Le mafieux du clan Rizzuto avait appelé Carrier pour lui conseiller de ne plus revenir à Montréal. "...La prochaine fois, tu partiras pas d'icitte, OK. T'as été averti, c'est fini, OK? Merci, bonjour», prévenait Del Balso.