Le pouvoir est tellement centralisé à Laval que l'indépendance policière s'en trouve ébranlée, croit Jean Marc-Aurèle, qui a quitté la direction du service de police de cette ville il y a 16 ans, excédé par les obstacles dressés par la mairie quand il tentait d'approfondir ses enquêtes.

« Mon budget annuel était accepté, mais dès que je voulais utiliser de l'argent pour un projet, je devais obtenir l'autorisation du comité exécutif et du maire », se rappelle Jean Marc-Aurèle, qui a été à la tête du service de police lavallois de 1988 à 1997. Le jour de sa démission, il a porté à l'attention de ses supérieurs le peu d'effectifs et d'équipement qu'on avait accepté de lui fournir au cours de son mandat. « J'avais jugé nécessaire de faire de l'écoute électronique pour certaines enquêtes. Je n'ai jamais eu l'autorisation du conseil exécutif pour aller de l'avant. Je n'ai jamais pu pousser mes dossiers d'enquête. Je demandais un outil et ça m'était refusé. Maintenant, je vous laisse deviner pourquoi... »

Selon l'ex-policier recyclé dans les affaires, il ne fait aucun doute : la structure de la Ville de Laval, établie par le gouvernement provincial par le biais de la Charte de la Ville de Laval, est contraignante au point d'étouffer certaines enquêtes. « Ce n'est pas qu'on n'a rien vu, on a vu comme tous les citoyens », dit-il à propos de la collusion, qui a pris une ampleur gigantesque avec le temps, selon lui. « Mais on est dans une société de droit, donc ça prend la preuve avant de s'avancer. Mais comment avoir la preuve quand ce sont nos patrons [qui sont mis en cause] ? »

Par le contrôle des dépenses, l'administration lavalloise et, par ricochet, le ministère des Affaires municipales se tenaient au fait des dossiers d'intérêt de la police lavalloise, estime M. Marc-Aurèle. « C'est faux de dire que le chef de police était le seul à savoir ce qui se passait. Selon moi, ça allait jusqu'au premier ministre de la province. Il y en a [des policiers] qui ont essayé de faire des choses, mais ça n'est pas sorti, se souvient-il. J'ai peine à croire que Québec n'était pas au courant. Voyons donc ! Tout le monde veut passer ça sur le dos de ceux qui étaient là [les chefs de police]. Il y a beaucoup d'hypocrites là-dedans. »

À propos de Serge Ménard, Jean Marc-Aurèle ne mâche pas ses mots. En 2010, l'ancien ministre péquiste a affirmé que l'ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, avait tenté de lui remettre 10 000 $ (que M. Ménard dit avoir refusés) pour soutenir sa campagne électorale dans Laval-des-Rapides. « Il s'est fait offrir une enveloppe il y a 17 ans. Il a été ministre de la Sécurité publique et il ne l'a jamais dévoilé. Pourquoi n'a-t-il pas dénoncé le maire plus tôt ? demande M. Marc-Aurèle. Il aurait dû tout savoir et défendre les droits. Mais personne ne parlait. Tout le monde avait une idée que quelque chose se passait, mais personne ne parlait. »

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Québec « estomaqué » devant l'ampleur du système

Le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, se dit « estomaqué » devant l'ampleur du système de collusion et de corruption qui régnait à Laval. Il « n'a jamais eu vent » que des députés actuels ou anciens du PQ, hormis Serge Ménard, ont eu des offres d'argent de la part du « groupe organisé » dont le gestionnaire était Gilles Vaillancourt. « C'est un peu affolant ce à quoi on assiste présentement », a laissé tomber le ministre Bergeron. Le ministre dit également être surpris que, contrairement à ce qu'il avait dit publiquement, l'ex-député de Vimont, Vincent Auclair, ait bel et bien accepté l'argent que lui a tendu Gilles Vaillancourt lors des élections partielles de 2002. - Tommy Chouinard