Les commotions cérébrales ne sont pas source d'inquiétude chez les sportifs seulement. Celles dont souffrent les enfants en centre jeunesse doivent être mieux prises en charge, conclut un juge scandalisé devant un cas où une fillette a dû attendre trois jours avant qu'un médecin se penche sur sa blessure à la tête.

Audrey*, âgée de 14 ans, s'était blessée pendant qu'elle était retenue par des agents de sécurité du Centre jeunesse de la Montérégie.

Malgré le diagnostic de commotion cérébrale, une deuxième intervention physique a « réactivé le traumatisme crânien » trois semaines plus tard. Une « faute grave » parce que les agents ont agi « sans égard pour sa fragilité », estime la justice en blâmant le système.

« Le tribunal conclut ici à une lésion flagrante des droits de l'enfant », continue le juge Mario Gervais dans un jugement récemment rendu public. Il a demandé qu'une copie de sa décision lapidaire, qui conclut à de la « négligence sur le plan des soins », soit envoyée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le juge Gervais a notamment déploré que le centre où était hébergée Audrey n'ait pas de procédure prévue en cas de coup à la tête.

« Les commotions, c'est notre pain et notre beurre », avait pourtant déclaré au tribunal Yves Lambert, le médecin responsable des enfants hébergés par le Centre jeunesse de la Montérégie.

Le juge a ordonné la mise en place de consignes claires pour gérer les blessures à la tête, comme il en existe déjà au ministère de l'Éducation pour les écoles.

La DPJ prête à « améliorer sa pratique »

« J'accueille favorablement l'ordonnance du juge », a affirmé en entrevue Josée Morneau, directrice de la protection de la jeunesse de la Montérégie. « On a avantage à s'assurer que notre personnel a les compétences pour être capable de détecter des signes préoccupants et être capable de faire des références vers le milieu médical. »

Avec les dernières réformes du système de santé, la DPJ de la Montérégie fait maintenant partie du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est. C'est cette organisation qui a été blâmée par le juge Gervais.

« Que ce soit par le biais d'un jugement qui est rendu par un juge ou que ce soit d'une tout autre façon, à partir du moment où - comme DPJ - je me rends compte qu'on peut améliorer notre pratique, je le fais. » - Josée Morneau, directrice de la protection de la jeunesse de la Montérégie

« Je n'ai pas besoin qu'on me l'ordonne », a ajouté Mme Morneau.

Elle n'a toutefois pas voulu fournir d'échéancier pour la mise en place d'un protocole clair pour gérer les blessures à la tête.

En entrevue, le Dr Lambert a relativisé son évaluation de la fréquence des commotions : « Les commotions ou les coups à la tête en cours d'intervention, c'est vraiment des raretés », a-t-il dit, assurant que ce type de situation se produisait plus souvent lorsque les jeunes font du sport. Mme Morneau a même fait valoir que les commotions cérébrales en centre jeunesse n'étaient « pas plus fréquentes que dans la vie quotidienne ».

Quant à la dénonciation du délai de trois jours pour voir un médecin après le premier incident, « ça, c'est une opinion d'un juge », a affirmé le Dr Lambert.

* Nom fictif

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Premier traumatisme crânien

Audrey s'est d'abord blessée à la tête le 30 janvier dernier, jour où on lui a annoncé qu'elle devait quitter sa mère et vivrait dorénavant en foyer, notamment en raison d'un risque suicidaire élevé. L'adolescente entre en crise, reste assise sur sa chaise lorsqu'on lui demande de se déplacer et donne des coups avec ses coudes. Des agents interviennent pour la maîtriser et tentent de l'appuyer contre un mur. « Au même moment, l'enfant se projette vers l'avant. » Sa tête heurte le mur. Elle verra une infirmière seulement le lendemain et un médecin seulement le surlendemain, un délai « injustifié et choquant », écrit le juge.

Deuxième traumatisme crânien

Trois semaines plus tard, le 20 février, Audrey entre en crise après avoir été isolée pour ne pas avoir respecté une consigne de silence pendant un repas. Lors de son arrivée dans la salle d'isolement, elle tient un livre entre ses mains alors qu'aucun objet n'y est permis. « L'éducatrice-tutrice demande aux agents de lui enlever son livre. » Audrey « explose », les agents la maîtrisent, mais elle se cogne la tête pendant l'intervention. « Le résultat prévisible qui en a découlé est des plus désolants, le traumatisme crânien ayant été "réactivé" », écrit le juge.