Ce n'est pas parce qu'on partage un ordinateur avec quelqu'un d'autre qu'on renonce aussi à son droit à la vie privée à l'égard du matériel stocké sur l'appareil commun, conclut la Cour suprême du Canada.

Dans un arrêt unanime des neuf juges, le plus haut tribunal du pays a rétabli jeudi l'acquittement de Thomas Reeves, un homme de Sudbury, en Ontario, qui avait été accusé de pornographie juvénile. Sa conjointe avait consenti à la saisie par la police d'un ordinateur commun utilisé par le couple à la maison.

En octobre 2012, la police était arrivée au domicile sans mandat après que la conjointe de M. Reeves a déclaré avoir trouvé ce qu'elle croyait être de la pornographie juvénile sur l'ordinateur commun.

Or, la Cour suprême soutient que même si le couple partageait l'ordinateur, M. Reeves avait des motifs raisonnables de s'attendre à ce qu'on respecte la confidentialité du contenu de l'appareil commun.

L'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés protège les citoyens « contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives » - même si ces perquisitions ont permis à la police de trouver des preuves d'activités criminelles. Le plus haut tribunal conclut que la saisie sans mandat de l'ordinateur et la fouille subséquente de son contenu étaient effectivement abusives, et donc que la preuve de pornographie juvénile recueillie par la police devait être jugée irrecevable.

Bien que la décision ait été unanime, deux des neuf juges ont fourni leurs propres arguments. Rédigeant pour la majorité, la juge Andromaque Karakatsanis a souligné que cette affaire portait atteinte au droit à la vie privée de tous les Canadiens qui partagent des ordinateurs avec d'autres personnes. La juge précise qu'« un contrôle partagé ne signifie pas une absence de contrôle ».

« Nous ne sommes pas tenus d'accepter que nos amis et notre famille puissent unilatéralement autoriser la police à prendre des objets que nous partageons avec eux. La décision de partager un objet avec autrui ne saurait être si chèrement payée dans une société libre et démocratique. »

Le fait de décider autrement risquerait par ailleurs d'« avoir une incidence disproportionnée sur le droit à la vie privée des particuliers à faible revenu, qui pourraient être plus susceptibles de partager un ordinateur personnel », ajoute la juge Karakatsanis.

« Les infractions de pornographie juvénile sont graves et insidieuses, et le public a un intérêt considérable à ce qu'elles fassent l'objet d'enquêtes et de poursuites », admet la Cour suprême. Toutefois, afin de respecter la Charte des droits, « il ne faut pas se demander si cette personne a enfreint la loi, mais bien si la police a outrepassé les limites du pouvoir de l'État ».