Le délateur Stéphane Gagné a beau être bien conscient que sa vie et celle des membres de sa famille sera toujours menacée, les commissaires aux libérations conditionnelles ont accepté ce matin sa demande de lui permettre d'effectuer des sorties avec escorte, pour la première fois après 21 ans d'incarcération.

Il faut dire que depuis tout ce temps, Gagné, qui est étroitement protégé par la police, a tout de même effectué une soixantaine de déplacements et sorties, accompagné de ses contrôleurs et d'autres policiers, et il n'y a jamais eu de problème.

En 1997, Gagné, alias Godasse, a été arrêté pour les meurtres de deux gardiens de prison et une tentative de meurtre sur un autre gardien. Lui et des complices ont commis ces crimes à la demande de l'ancien chef guerrier des Hells Angels Maurice Boucher, qui cherchait ainsi à déstabiliser la justice et à s'assurer de la loyauté de ses sbires, au plus fort de la guerre des motards qui a fait 160 morts et autant de blessés durant les années 1994 à 2002. Son témoignage a été primordial pour faire condamner, au début des années 2000, Boucher, qui est sous le coup d'une sentence à perpétuité.

Sous haute sécurité

L'audience de Gagné, qui s'est tenue dans un lieu qu'on ne peut identifier, s'est d'ailleurs déroulée sous haute sécurité, en présence de policiers et d'un agent correctionnel.

« Je sens que ma sécurité est menacée. Lorsqu'il y a des nouveaux qui entrent dans le gym, et qui viennent d'un autre pénitencier en particulier, je fais beaucoup plus attention », a dit Gagné aux commissaires. Celles-ci ont tout de même qualifié son dossier de « sensible et préoccupant », s'interrogeant sur les risques pour la société s'il était libéré.

« Si je retourne dans le crime organisé, je suis mort. Cela fait 21 ans que je fais tous les efforts pour rester vivant. Je serais stupide de retourner dans le crime. Aussi bien mettre des balles dans un pistolet et jouer à la roulette russe. C'est ma vie, celle de mes proches et du public qui en dépend », a-t-il déclaré, en pleurs.

« La commission autorise une première sortie avec escortes. On ne sait pas où et quand elle aura lieu, mais la commission est assurée de la grande sécurité dont elle fera l'objet et le comportement que vous avez adopté ne justifie pas un refus », a annoncé la commissaire Marie-Claude Frenette à la fin de l'audience.

En attendant ces mots, Gagné a fermé les yeux durant quelques secondes. Ceux-ci étaient rougis et humides lorsqu'il les a rouverts.

Travailleur et codétenu dévoué

Il y a presque deux ans, Gagné a témoigné une première fois devant les commissaires, fait la même demande et essuyé un refus. Comme la première fois, son agente de libération a appuyé sa demande ce matin.

« M. Gagné est sollicité par le personnel pour aider les codétenus en difficulté. Il travaille au gym et à la cuisine du pénitencier, et les responsables disent qu'il est un excellent employé. C'est un travailleur dévoué. Cette dévotion l'a amené à commettre l'irréparable en 1997, mais c'est devenu une qualité aujourd'hui », a dit l'agente de libération.

« J'aime mieux recevoir une tape dans le dos de mon employeur qui me dit que je suis un bon employé que de Maurice Boucher, alors que je sais que c'est de la manipulation pour parvenir à ses fins », a renchéri Gagné, plus tard durant l'audience.

Et les risques anticipés par l'appât du gain ? ont demandé les commissaires.

« Je me suis bâti une nouvelle vie. Je fais 70 cent de l'heure. Quand je veux m'acheter une paire d'espadrilles, je travaille et je mets de l'argent de côté », a-t-il dit.

Au cours de la dernière année, Gagné a suivi un programme de réhabilitation derrière les murs. Il a poursuivi ses études. « Je suis rendu en secondaire 4 partout, mais dans certaines matières, j'ai atteint le secondaire 5 », a-t-il expliqué fièrement.

Il va au gym tous les soirs et médite quotidiennement, « pour faire une rétrospection de sa journée » dit Gagné, qui a expliqué que le cerveau enregistrait 150 000 données par jour, avant d'être ramené dans le vif du sujet par la commissaire Frenette.

Tout ce qui a touché à ses sorties avec escortes et ses projets de sortie a fait l'objet d'un huis clos ; journalistes et même son avocate, Me Sandra Brouillette, ont dû sortir de la salle d'audience.

Stéphane Gagné est admissible à la semi-liberté depuis 2014 et à la libération conditionnelle totale depuis l'an dernier. Il s'était adressé et a raconté sa vie à un jury, en Cour supérieure, il y a trois ans pour faire devancer sa date d'admissibilité à la libération conditionnelle.