La Cour supérieure confirme un jugement qui pourrait bénéficier à d'autres Québécois blessés alors qu'ils étaient rémunérés « sous la table ».

Malgré les protestations du gouvernement, un jeune homme qui travaillait au noir lorsqu'il est devenu handicapé recevra des prestations à vie sur la base de ce salaire gagné illégalement, vient de confirmer la justice.

La décision de la Cour supérieure ouvre la porte à des milliers de Québécois rémunérés « sous la table » au moment de subir une blessure grave.

Le jeune homme en cause avait 25 ans, le 25 mars 2010, lorsqu'une blessure par balle l'a rendu invalide pour le reste de ses jours. Dans l'année qui avait précédé le jour fatidique, il avait travaillé quelques mois comme électricien dans la construction et avait été rémunéré au noir à hauteur de 22 400 $.

Tout en affirmant qu'il ne pouvait « évidemment encourager ce type de pratique », le Tribunal administratif du Québec (TAQ) avait décidé, l'été dernier, de l'indemniser sur cette base. « Notre rôle n'est pas de juger les comportements d'un individu, mais de rendre une décision basée sur les faits », continuait la décision.

Un cas qui fera jurisprudence

Dans une décision rendue il y a quelques semaines, la Cour supérieure a confirmé ce jugement du TAQ.

Le tribunal « ne voit rien de déraisonnable dans sa décision », même si « elle tranche peut-être avec un certain conformisme », a écrit la juge Christine Baudouin dans son jugement.

« Le TAQ s'appuyant sur le principe [...] à l'effet que les indemnités doivent être calculées à partir des gains qui reflètent la réalité, tient en compte les circonstances particulières », a-t-elle continué.

Selon l'avocat Jean-François Maltais, spécialiste des dossiers d'indemnisation, la décision fera jurisprudence si elle n'est pas cassée en appel. « C'est elle qui va faire autorité », a-t-il dit, soulignant qu'il s'agissait du premier dossier du genre à être monté jusqu'à la Cour supérieure.

Il a aussi souligné que même si l'indemnisation provenait dans ce cas-ci de l'Indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC), elle pourrait aussi être utilisée par des accidentés du travail et des accidentés de la route.

42 milliards au noir

L'avocate représentant le gouvernement avait plaidé que l'indemnisation devait faire abstraction du salaire au noir : les prestations seraient alors calculées sur la base du salaire minimum, comme si le jeune homme n'avait pas travaillé dans l'année précédant ses blessures.

L'avocat du jeune homme espérait plutôt qu'il soit indemnisé en fonction de sa « capacité réelle de gain pour le futur », soit le salaire d'un apprenti électricien.

Les deux parties ont porté la décision en appel parce qu'elles en étaient insatisfaites. Il n'a pas été possible de savoir si elles contesteraient la décision de la juge Baudouin : aucun des deux avocats n'a rappelé La Presse.

Selon Revenu Québec, le travail au noir dans l'industrie de la construction représente des pertes fiscales de 1,5 milliard chaque année. L'économie souterraine représente 10 milliards par année au Québec et 42 milliards pour l'ensemble du pays, selon Statistique Canada.