Un entraîneur de gymnastique de haut niveau a été accusé mercredi d'agressions sexuelles et de voies de fait sur six mineures. Les faits reprochés à Michel Arsenault, qui remontent à plus de 30 ans, seraient survenus à Montréal. Une présumée victime raconte le climat de violence qui régnait au sein de l'équipe.

« C'était comme un gourou. Il nous a fait croire que notre vie ne serait rien sans lui. »

La Montréalaise Nadia Thivierge a fait 10 ans de gymnastique sous les ordres de l'entraîneur Michel Arsenault dans les années 80 et 90. Durant toutes ces années, dit-elle, elle a encaissé ses insultes, ses cris, ses abus et sa violence. « Après ça, il a fallu se reconstruire », affirme celle qui est aujourd'hui mère de famille.

Mercredi, 30 ans après les faits qui lui sont reprochés, l'homme de 56 ans, un entraîneur de haut niveau qui a mené en 1992 une athlète jusqu'aux Jeux olympiques, a été arrêté chez lui à Edmonton, où il vit depuis plusieurs années. L'opération a été menée conjointement par la Sûreté du Québec (SQ) et la police d'Edmonton. Il fait face à sept chefs d'accusation, trois d'agression sexuelle et quatre de voies de fait. Les plaignantes sont six filles, mineures à l'époque, envers qui il avait une position d'autorité.

À peine cueilli à son domicile, l'homme a été transporté de l'Alberta vers Montréal pour y être interrogé par les enquêteurs québécois. Il devait ensuite être libéré sous promesse de comparaître, a expliqué la sergente Audrey-Anne Bilodeau. La date est fixée au 24 mai au palais de justice de Montréal. Selon la dénonciation rédigée par la SQ et que nous avons pu consulter, les faits allégués sont survenus entre 1983 et 1993.

VIOLENCE, AGRESSIONS ET INSULTES

L'accusé était alors entraîneur au Flipgym, un club situé dans le quartier Rosemont. Nadia Thivierge s'y est entraînée de l'âge de 6 ans à 16 ans, 30 heures par semaine. Elle est l'une de celles qui se disent victimes de voies de fait de la part d'Arsenault. D'autres ont raconté avoir été victimes d'agressions sexuelles.

Aux journalistes de Radio-Canada Sports, dans un reportage diffusé en décembre qui a mené à l'enquête policière, une ex-gymnaste a dit qu'Arsenault l'aurait forcée à le masturber alors qu'elle avait 15 ans. « Il voulait que je le touche. Je voulais rien faire. [...] Il a pris ma main et il l'a forcée parce que moi, je voulais rien faire. On l'a fait ensemble. Je ne sais pas comment expliquer. »

Une autre a témoigné au diffuseur public la chose suivante : « Il a prétexté une réunion entraîneur-athlète pour se vider sur moi et il m'a laissée là, dans sa chambre pleine de sperme. J'ai pleuré et je suis retournée chez moi. »

Mme Thivierge, elle, raconte un climat quotidien de violence, autant verbale que physique, qui s'est installé insidieusement au sein de l'équipe et que les jeunes athlètes croyaient normal. 

« Ça s'est instauré tranquillement. C'était dans les non-dits. C'était de nous rabaisser, de crier. Il nous a fait croire que notre vie serait finie sans lui. On pensait que c'était normal. » - Nadia Thivierge

Elle se souvient de s'être fait traiter de « conne », d'« épaisse », de « niaiseuse ».

L'événement qui a mené à l'accusation de voies de fait se serait produit alors qu'elle avait « 11 ou 12 ans ». Ce jour-là, l'entraînement était difficile. « Ça n'allait pas bien. Il me criait dessus. Je pleurais. À un moment donné, je me suis dit : "Ça va faire." J'ai pris mes choses et je suis partie dans le vestiaire. »

Son entraîneur l'aurait suivie, dit-elle. « Il m'a prise par le cou et l'épaule et il m'a sortie du vestiaire. Je ne touchais pas par terre. Il m'a dit que l'entraînement n'était pas fini. » L'adolescente s'est remise au travail.

« Je n'en ai parlé à personne et le lendemain, j'étais encore là. C'est épouvantable. »

CONGÉDIÉ

En 1993, après 10 ans chez Flipgym, l'entraîneur a été mis à la porte. Le congédiement, précise Stéphane Gladu, actuel président du conseil d'administration, n'était pas lié à des incidents de nature sexuelle, mais à la manière agressive ou violente dont Michel Arsenault traitait les jeunes athlètes et s'adressait à elles.

« Ça a quand même pris 10 ans, souligne Nadia Thivierge. On en a vu des coachs passer pendant ce temps. » Selon elle, ces derniers partaient à cause du comportement d'Arsenault. « Mais ils nous laissaient là. »

La femme a abandonné son sport peu de temps après le départ de son entraîneur. « On était tellement conditionnées. Il m'avait fait croire que c'était impossible que j'aille dans un autre club. » Elle dit avoir dû se reconstruire. « Il a fallu réaliser que ce n'était pas la vraie vie. »

Si elle ne garde pas que de mauvais souvenirs de ses années de gymnastique - elles ont modelé la femme qu'elle est aujourd'hui et lui ont permis de forger de solides amitiés -, elle a toujours refusé que sa fille s'adonne à ce sport. « J'avais peur de l'inscrire. Pour moi, c'est un sport ingrat. »

« UN DIEU »

Monique St-Arnault a elle aussi croisé le chemin de Michel Arsenault à Montréal. Elle a été entraîneuse au Flipgym en même temps que l'accusé. Elle soutient qu'il posait des questions déplacées de nature sexuelle aux jeunes femmes, les questionnant par exemple sur leurs fantasmes ou sur la masturbation.

« Un entraîneur de gymnastique est pratiquement un dieu pour la gymnaste. Durant plusieurs heures par semaine, elle risque gros et met sa vie entre les mains de son entraîneur. La confiance doit être totale. Si Michel Arseneault est jugé coupable, non seulement il a trahi et blessé les gymnastes qu'il aurait agressées, mais aussi terni la grande famille gymnique au grand complet. » - Monique St-Arnault, mercredi, après l'arrestation de son ex-collègue

Nadia Thivierge avait un mot en tête : « enfin ». Athlète, elle n'a rien su des allégations d'agressions sexuelles. Ses anciennes camarades lui en ont parlé plus tard. « J'ai une grande pensée pour les plus grandes victimes. Ça fait des années que j'espère qu'il va se passer quelque chose. Il ne pourra plus faire de mal. »

Dans la foulée du reportage de Radio-Canada diffusé en décembre, le quinquagénaire a été éjecté de son poste d'entraîneur au club de gymnastique d'Edmonton qu'il a lui-même fondé avec sa femme en 2002, le Champions Gymnastics. Selon son profil professionnel sur le réseau social LinkedIn, il y agissait à titre d'« entraîneur de gymnastique féminine de haute performance ». Au moins une de ses gymnastes a d'ailleurs atteint les Jeux du Commonwealth dans les dernières années.

En décembre, Gymnastique Canada a annoncé qu'elle suspendait M. Arsenault « à la suite de graves allégations formulées récemment », selon un communiqué de presse.

Mercredi, dans un communiqué, la fédération sportive a fait savoir que la suspension était toujours en vigueur. « Nous sommes rassurés de voir que la justice a pris au sérieux ces plaintes. » La porte-parole Julie Forget a affirmé à La Presse que Gymnastique Canada n'avait reçu aucune plainte concernant Michel Arsenault.

Des entraîneurs condamnés

LARRY NASSAR

En janvier, l'ancien médecin de la Fédération américaine de gymnastique et de l'Université Michigan State Larry Nassar a été condamné à une peine allant jusqu'à 175 ans de prison pour des agressions sexuelles commises sur de jeunes athlètes ainsi que sur d'autres femmes et filles. Hier, l'Université Michigan State a annoncé qu'elle verserait quelque 500 millions à 332 femmes se disant victimes de Nassar alors qu'il travaillait pour l'établissement.

BERTRAND CHAREST

Arrêté en 2015, l'ex-entraîneur de l'équipe nationale junior féminine de ski alpin Bertrand Charest a été condamné à 12 ans de prison en décembre dernier pour des crimes à caractère sexuel commis à l'endroit de neuf adolescentes qu'il a entraînées dans les années 90. Les victimes, des skieuses, avaient de 12 à 18 ans au moment des agressions.

GRAHAM JAMES

Entraîneur dans l'Ouest canadien auprès d'équipes juniors, Graham James a agressé sexuellement de nombreux joueurs sous sa gouverne, dont Sheldon Kennedy et Theoren Fleury. En 2013, la Cour d'appel du Manitoba a fixé sa peine à cinq ans d'emprisonnement.

PIERRE JR BERGERON

Arrêté en 2011, l'ex-entraîneur en haltérophilie au Québec a reconnu avoir eu des contacts sexuels avec une athlète mineure et avoir commis des actes de leurre informatique sur une période de trois ans. En 2013, la Cour d'appel l'a condamné à 12 mois de prison.

THIERRY MASSIMO

En 2010, cet entraîneur de soccer mineur de la région de Montréal a été condamné à six ans de prison pour avoir agressé sexuellement 14 de ses élèves au fil de sa carrière, tous au début de leur adolescence.

GABRIEL MEUS LECLERC

L'ex-entraîneur de basketball du Collège Regina Assumpta, à Montréal, a été condamné à trois ans de prison en 2009 pour avoir eu des relations sexuelles avec cinq adolescentes sous sa responsabilité.