Les journalistes Marie-Maude Denis et Louis Lacroix n'auront pas à témoigner dans le cadre du procès Côté-Normandeau et ne seront pas forcés de dévoiler l'identité de leur source, a tranché lundi la Cour du Québec dans un jugement qui risque fort bien de créer un précédent.

La décision du juge André Perreault est en effet la première rendue dans cette matière depuis l'adoption par Ottawa de la Loi sur la protection des sources journalistiques en octobre dernier. 

«C'est quand même la première fois dans l'histoire judiciaire canadienne qu'on applique la Loi fédérale sur la protection des sources. Donc forcément c'est un jugement qui fera oeuvre de précédent», a noté lundi l'avocat des journalistes, Christian Leblanc, ajoutant que la décision était très fouillée avec 230 paragraphes.

Les avocats de Marc-Yvan Côté ont mené dans les dernières semaines une requête pour faire avorter le procès de leur client, de Nathalie Normandeau et de leurs quatre coaccusés. Ils estiment que les nombreuses fuites d'éléments d'enquête dans les médias ont entaché irrémédiablement le droit des accusés à un procès juste et équitable.

Les avocats de la défense ont donc tenté de prouver que les fuites émanaient de l'État. Les nombreux témoins qu'ils ont appelé à la barre n'ont pas permis de découvrir hors de tout doute qui était la source des fuites aux médias. En dernier recours, ils exigeaient que la Cour force les journalistes à cracher le morceau.

Fardeau de la preuve inversé

Le juge André Perreault avait donc à trancher : est-ce que l'intérêt de la justice l'emportait sur l'intérêt du public à préserver la confidentialité des sources journalistiques? Ici, le juge Perreault a clairement penché en faveur de la protection des sources journalistiques.

D'entrée de jeu, le magistrat rappelle dans sa décision l'adoption de la nouvelle loi fédérale. Celle-ci vient inverser le fardeau de la preuve. Avant, il fallait prouver que l'intérêt public à la protection des sources journalistiques l'emportait sur l'intérêt public «à la découverte de la vérité», c'est-à-dire la justice. Depuis octobre dernier, c'est l'inverse.

Les avocats de Côté et consorts devaient donc prouver ce point s'ils voulaient forcer les journalistes à dévoiler leurs sources. Or, ils n'y sont pas parvenus. Ceux-ci ont plutôt plaidé que les nombreux reportages de Marie-Maude Denis à Radio-Canada ne servaient pas l'intérêt public. Le juge Perreault n'a pas adhéré à cette lecture.

«Le public apprenait des informations importantes pour possiblement les aider à se faire une idée sur des sujets généraux d'intérêt public», peut-on lire dans le jugement.

Le juge convient tout de même que les journalistes étaient probablement l'ultime chance d'identifier la fuite, et que cette information aurait été importante dans le cadre de la requête. Mais il établi une distinction importante entre source et fuite.

«Parviendrait-on à identifier les sources qu'il demeure non convainquant que cela nous permettrait de remonter jusqu'aux auteurs du coulage», croit-il.

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a salué la décision lundi, rappelant que l'inversion du fardeau de la preuve avec la nouvelle Loi protège encore plus les sources journalistiques. «On a travaillé fort pour faire adopter la Loi et on est contents de voir que ça donne des résultats, a expliqué le président de la FPJQ, Stéphane Giroux. Par contre, on n'est pas naïfs et on sait qu'il pourrait y avoir des contestations.»

Les avocats de la défense n'ont pas voulu dire s'il entendent porter la décision en appel. Le juge André Perreault doit maintenant rendre son verdict sur les deux requêtes en arrêt des procédures : celle sur les fuites journalistiques et celle sur l'arrêt Jordan.

MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Marie-Maude Denis