Les juges de la Cour supérieure veulent obliger Québec et Ottawa à financer leurs démarches judiciaires pour faire réduire la compétence de leurs collègues de la Cour du Québec.

Après avoir voté une contribution personnelle à hauteur de 1500 $ chacun à l'automne 2016 pour payer leur poursuite, les magistrats font finalement valoir que rémunérer de leur poche leurs avocats et leurs experts pourrait les placer en conflit d'intérêts.

Les magistrats voudraient entendre toutes les causes civiles mettant en cause plus de 10 000 $ plutôt que les 85 000 $ actuels : ils plaident que la Cour supérieure redeviendrait ainsi le tribunal par défaut auquel les citoyens s'adressent pour faire trancher leurs litiges.

La poursuite lancée en ce sens l'été dernier a été doublée par une procédure de la ministre de la Justice, qui a plutôt décidé de faire directement trancher le débat par la Cour d'appel, dans le cadre d'un renvoi - une question de nature constitutionnelle posée par un gouvernement à un tribunal.

«Doutes de partialité»

Juste avant les Fêtes, les juges de la Cour supérieure ont déposé une demande à la Cour d'appel visant à refiler leur facture d'avocats aux deux ordres de gouvernement.

Il s'agit d'une «situation exceptionnelle», plaide le document, mais «étant donné les questions d'intérêt public soulevées, les principes de proportionnalité et de saine administration de la justice», Québec et Ottawa devraient payer.

Le document ajoute que «l'implication financière personnelle des juges de la Cour supérieure», la solution qui prévaut jusqu'à maintenant, pourrait «potentiellement soulever des doutes raisonnables de partialité dans certains contextes, mettant les juges de la Cour supérieure dans des situations délicates».

Surtout, plaident les magistrats, le débat qui semble se dessiner ferait en sorte que leurs adversaires devant la Cour d'appel - notamment la ministre de la Justice et les juges de la Cour du Québec - verraient, eux, leurs avocats être rémunérés par des fonds publics.

Les avocats de la Cour supérieure demandent donc à la Cour d'appel d'ordonner le paiement de leurs factures. Celles-ci «devront demeurer confidentiel[le]s», même aux yeux des deux ordres de gouvernement, soulignent-ils en terminant.

Me Madeleine Lemieux, l'avocate des magistrats, n'a pas rappelé La Presse.

La Cour d'appel se penchera sur sa demande dans les prochaines semaines.

La constitution invoquée

Le partage actuel des dossiers entre Cour supérieure et Cour du Québec «ne respecte pas le compromis qui a été fait en 1867 quand on a fait la Constitution, ça ne respecte pas le partage des pouvoirs entre le fédéral et le provincial», avait indiqué Me Madeleine Lemieux à La Presse l'été dernier.

En 1867, «le seuil de compétence des cours provinciales [dont la Cour du Québec] était de 100 $», avait-elle rappelé en entrevue téléphonique

Le seuil de 10 000 $ qu'elle propose serait la conversion des 100 $ de 1867 en dollars courants.

«Les juges [de la Cour supérieure] considèrent que c'est de leur devoir de présenter ce recours», avait-elle ajouté. «Ça fait des années que la compétence de la Cour du Québec augmente et augmente comme nulle part ailleurs au Canada.»