Deux malades à qui l'aide médicale à mourir a été refusée veulent faire invalider le critère de « prévisibilité de la fin de vie » des lois canadienne et québécoise. Une bataille qui s'annonce longue alors que leurs forces s'amenuisent.

Bien qu'ils jurent de se battre jusqu'au bout de leurs forces, Jean Truchon et Nicole Gladu craignent de mourir dans des conditions inhumaines avant la fin de leur combat judiciaire.

Ces deux personnes atteintes de maladies graves et incurables à qui l'État a refusé l'aide médicale à mourir contestent devant les tribunaux la constitutionnalité des lois canadienne et québécoise sur le sujet.

Toutes deux accusent aujourd'hui le procureur général fédéral de vouloir étirer indûment le débat.

C'est que la cause s'annonce plus longue que M. Truchon et Mme Gladu ne l'avaient anticipé, puisque le procureur général du Canada veut faire entendre 13 experts pour démontrer que les lois n'enfreignent pas la Charte canadienne des droits et libertés.

« D'après ce que j'ai vu, [le procureur général du Québec et le procureur général du Canada] vont tout faire pour étirer le temps quitte à me laisser partir autrement », a confié à La Presse l'homme de 49 ans, atteint de paralysie cérébrale, à sa sortie de la salle d'audience, hier, alors que sa cause revenait devant la Cour supérieure au palais de justice de Montréal.

Après avoir assisté aux longs débats très techniques qui ont occupé toute la journée d'hier, l'homme qui se déplace en fauteuil motorisé contrôlé par la bouche était découragé.

« Je me sens démuni. Les avocats des gouvernements veulent un débat idéologique, pas un débat humain. Mais moi, je suis un humain », dit Jean Truchon.

M. Truchon remplit tous les critères de l'aide médicale à mourir, sauf un : sa condition de santé n'entraînera pas sa mort dans un avenir « prévisible ». Sa demande a donc été refusée.

L'homme a songé à se jeter devant le métro, mais il ne veut pas faire de victimes collatérales. Il a aussi pensé à faire une grève de la faim, mais il craint de traumatiser ses parents, qui seraient témoins de sa lente agonie.

« Je ne veux pas mourir en martyr. Je veux mourir dans la dignité », a expliqué M. Truchon à La Presse.

Nicole Gladu, elle, souffre de graves séquelles de la poliomyélite à 72 ans. Après avoir mené une vie très active, elle a reçu un diagnostic de syndrome dégénératif musculaire post-poliomyélite en 2012. Depuis, sa scoliose s'aggrave, ses muscles s'affaiblissent, sa capacité pulmonaire s'amenuise.

Plutôt que de mettre fin à leurs jours, ils ont décidé de se battre côte à côte pour faire invalider le critère de « prévisibilité de la fin de vie » des deux lois.

« Mes clients souffrent beaucoup. Ils ont songé au suicide, mais leur conviction que leur cause est juste les motive à continuer », souligne leur avocat, Me Jean-Pierre Ménard.

LETTRE À LA JUGE

M. Truchon a récemment écrit une lettre à la juge Christine Baudouin - qui entend la cause - dans laquelle il « met en mots » sa « souffrance qui dure maintenant depuis plus de trois ans ».

Jusqu'en 2012, il vivait dans un appartement supervisé. Tout a basculé cette année-là, quand il a perdu l'usage de son bras gauche, son seul membre encore fonctionnel. Il a alors dû déménager dans un CHSLD.

« Quand je me lève le matin, je me dis : "Pas encore une journée plate." Quand je passe devant un miroir dans ma chambre, je déteste tellement l'homme que je suis rendu », écrit-il dans sa lettre d'une page.

« Chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour, chaque semaine, chaque mois me semblent interminables et la seule solution qui m'apparaisse logique est ma demande d'aide médicale à mourir », dit Jean Truchon.

M. Truchon implore la juge de lui accorder sa contestation judiciaire. « Je trouve inconcevable, inhumain et irréel de devoir attendre tout ce temps pour trois petites minutes de délivrance, poursuit-il. Si vous trouvez triste de lire mon témoignage, imaginez ce que je vis au quotidien. »

UNE AFFAIRE D'UNE « CERTAINE IMPORTANCE »

Hier, le procureur général du Canada représenté par quatre avocats, dont Me David Lucas, a plaidé que cette affaire d'une « certaine importance » nécessitait autant d'experts afin d' établir le contexte du débat de société dans lequel la loi sur l'aide médicale à mourir a été adoptée.

Ces experts doivent aussi éclairer le tribunal sur toutes les conséquences éventuelles d'un retrait du critère de « prévisibilité de la fin de vie » des lois québécoise et canadienne sur l'aide médicale à mourir, a ajouté le procureur fédéral.

De son côté, Me Ménard affirme que la quantité d'experts de la partie défenderesse (les deux ordres de gouvernement) est « disproportionnée et non pertinente ».

« Ajouter des experts, ça ajoute du temps et des coûts. Pour mes clients, le temps est compté », dit Me Jean-Pierre Ménard.

« Il devrait certainement y avoir des expertises, mais pas 13. En termes de moyens, c'est clair que nos clients n'ont pas les moyens de payer 13 autres experts [pour réaliser des contre-expertises]. »

Me Ménard précise que sa contestation judiciaire « ne vise aucunement un élargissement ou un assouplissement des conditions d'accès à l'aide médicale à mourir ». Elle vise seulement à « rétablir les droits des personnes » qui avaient été garantis par l'arrêt Carter.

L'ARRÊT CARTER ET LA LOI FÉDÉRALE

En vertu de l'arrêt Carter de la Cour suprême du Canada rendu en 2015, M. Truchon et Mme Gladu devraient avoir droit à une aide médicale à mourir, plaide Me Ménard.

Les adultes qui consentent clairement d'eux-mêmes à mettre fin à leurs jours et qui sont atteints de problèmes de santé graves et irrémédiables qui leur causent des souffrances persistantes devraient y avoir droit, plaide l'avocat spécialisé en droit médical. Or, la loi fédérale qui a été promulguée après l'arrêt Carter a ajouté un critère d'admissibilité, soit la nécessité que la mort soit « raisonnablement prévisible ».

C'est ce critère que ses clients veulent faire annuler.

Par ailleurs, trois organismes - dont deux opposés à l'aide médicale à mourir - ont demandé au tribunal le droit d'intervenir dans cette cause, hier. La juge doit rendre sa décision sur cette question préliminaire dans les prochaines semaines. Les dates du procès n'ont pas encore été fixées. Me Ménard espère qu'il aura lieu au printemps.

D'ici là, M. Truchon promet de s'accrocher à la vie. « Je prends ça un jour à la fois. Quand je ne pourrai plus, je ne pourrai plus », lâche-t-il avant d'éclater en sanglots.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

« Quand je passe devant un miroir dans ma chambre, je déteste tellement l'homme que je suis rendu », affirme Jean Truchon dans une lettre à la juge Christine Baudouin, qui entend sa cause.