C'est vendredi. Mégan Dubé revient de l'école, fébrile à l'idée de prendre la route pour Québec, où elle doit représenter l'Abitibi dans six disciplines à une compétition de gymnastique. Elle n'en aura jamais la chance. Ce soir du 12 mai 2011, en traversant le terrain de son voisin Guy Morneau pour rentrer chez elle, la jeune fille de 12 ans est sauvagement attaquée par trois pitbulls.

«Le pitbull brun la mord au genou gauche. Ses crocs lui transpercent la chair jusqu'aux os, peut-on lire dans le jugement rendu par la Cour supérieure le 14 septembre dernier. Au même instant arrive le pitbull blanc et brun de Guy Morneau qui la mord au mollet droit. [...] Les cris à l'aide et les hurlements de souffrance de Mégan Dubé alertent le voisinage.»

Quatre voisins accourent à son secours ainsi qu'une femme en voiture. Le pitbull de Guy Morneau et les deux pitbulls de son fils Sébastien attaquent et blessent trois des bons samaritains, en plus de s'en prendre à nouveau à Mégan en la mordant à un bras, près de l'épaule et à la poitrine.

«Mégan Dubé parvient à se réfugier dans le véhicule automobile de la dame, [...] ses jambes lui brûlent comme du feu. Son mollet, partiellement arraché et ouvert, est ensanglanté», peut-on lire dans le jugement de la Cour supérieure.

Tous sont transportés aux urgences. Mégan est transportée à l'hôpital de La Sarre, puis transférée à Amos, où elle a subi une intervention chirurgicale urgente. La première d'une longue série d'interventions médicales qui la laisseront néanmoins avec des séquelles à vie.

«Mégan Dubé subit par la suite 15 traitements au laser à Montréal afin de diminuer l'aspect de ses cicatrices qui sont qualifiées de vicieuses au bras droit, à l'abdomen, à la jambe droite et gauche et non vicieuses au sein gauche et à la cuisse gauche. Elle souffre d'hypoesthésie aux jambes», relève le tribunal dans son jugement. La jeune fille développe par la suite des symptômes de choc post-traumatique. Depuis le 12 mai 2011, Mégan, aujourd'hui âgée de 18 ans, n'a pratiquement jamais montré ses jambes en public.

«La famille Dubé-Godbout, c'est des gens incroyables. Tout le long du processus de guérison, pour chaque nouveau défi, pour les démarches juridiques... Johnny Dubé et Nancy Godbout ont toujours appuyé leur fille, ils ont tout sacrifié. Évidemment, des montants d'argent n'effaceront jamais la souffrance, mais je suis content que le jugement les compense un peu pour ce qu'ils ont perdu», a déclaré l'avocat de la famille, MJonathan Gottlieb.

Responsabilité des propriétaires



Le document rapporte que Sébastien Morneau vivait seul dans la maison de son père avec trois pitbulls - deux lui appartenant et le troisième étant à son père. La nuit précédant le 12 mai, il a ouvert la fenêtre de la chambre au sous-sol et a oublié de la refermer. Les fenêtres étant à 32 pouces du plancher, les chiens sont sortis et se sont retrouvés à l'extérieur, pour plus tard attaquer la petite voisine.

«Mon client se sent mal. Il est bien malheureux de tout ce qui est arrivé», a déclaré Me Lucien Cliche Jr, l'avocat de Guy Morneau et de sa compagnie d'assurances, Promutuel Boréal. «Son fils Sébastien a été hospitalisé en psychiatrie après les événements, il a été très marqué lui aussi», a ajouté Me Cliche.

Le juge Robert Dufresne considère que les deux hommes doivent être tenus solidairement responsables des dommages, puisque leurs chiens ont tous trois participé à l'attaque du 12 mai 2011.

Se référant à des jugements rendus précédemment par la Cour suprême du Canada pour des cas similaires, le tribunal condamne Sébastien Morneau, Guy Morneau et sa compagnie d'assurances Promutuel Boréale à verser 135 000 $ à Mégan Dubé pour les dommages subis, 42 613 $ à son père Johnny Dubé pour dommages non pécuniaires et pertes de revenus et 45 443 $ à sa mère Nancy Godbout pour les mêmes motifs. Le total s'élève à 223 000 $.

«On est très satisfaits du jugement qui reconnaît la responsabilité de tout le monde. C'est une autre étape parmi tant d'autres qui vient d'être franchie pour la famille, même si la question de compensation est toujours secondaire. On s'entend que c'est une petite fille qui a vu sa vie être complètement bouleversée», a déclaré Me Gottlieb, qui espère que ce jugement servira de leçon à tous les propriétaires de chiens.

«Ce jugement rappelle que les gens sont responsables de leurs animaux, que ce soit un animal normalement docile ou vicieux, peu importe. Si l'animal cause dommage, les propriétaires ou les gardiens sont responsables», explique l'avocat.

«Ce jugement va peut-être rappeler aux propriétaires de prendre des mesures de sécurité adéquates.»

Prison et cause en appel

La défense dispose de 30 jours pour porter la cause en appel; une possibilité qui n'est pas écartée.

«C'est ma cliente [la compagnie d'assurances] qui va prendre la décision de porter la cause en appel ou non et ils sont en train d'examiner le jugement», a avancé MCliche. «Ils n'ont jamais nié que la petite a eu de graves blessures. Dans le cas des blessures corporelles, combien ça vaut? C'est ça, la question. C'est la bête noire des avocats et des juges», admet l'homme de loi.

Par ailleurs, Sébastien Morneau avait plaidé coupable à quatre chefs d'accusation de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à l'endroit de Mégan Dubé et des trois hommes s'étant portés à son secours. Il avait été condamné à 18 mois d'emprisonnement. Une peine qu'il a purgée et qui s'ajoutait à une autre condamnation de 12 mois d'emprisonnement en lien avec une histoire de culture de cannabis pour un total de 30 mois à purger.