Vingt ans après avoir été laissée pour morte par son père, à force d'entendre ce dernier témoigner devant les commissaires aux libérations conditionnelles, Nora (prénom fictif) est convaincue que son père, Mahmoud El-Tomi, a commis un crime d'honneur en tuant sa mère et trois de ses soeurs et en blessant l'aînée, le soir du 20 janvier 1996 à Longueuil.

Dans son numéro de mardi, La Presse a rappelé ces terribles événements, alors que Mahmoud Et-Tomi, 72 ans, condamné à perpétuité, voyait une nouvelle fois les commissaires aux libérations conditionnelles refuser sa demande de semi-liberté la semaine dernière dans son pénitencier du Nouveau-Brunswick.

Comme elle l'a fait les deux fois précédentes, Nora, qui venait d'avoir 9 ans au moment de la tragédie et qui en aura bientôt 30, a tenu à assister à l'audience, malgré la distance, pour s'assurer que son père restait détenu. Elle dit le faire à la fois pour protéger la société et par respect pour la mémoire de ses soeurs et de sa mère.

« Plus je vieillis, plus j'entends parler de crimes d'honneur. Je considère que c'est un crime d'honneur, ce que mon père a fait. Il ne le dit pas dans ces mots-là, mais il se pose en victime et il dit que ma mère lui a souvent manqué de respect. Pour moi, c'est cela, un crime d'honneur. »

« Mon père a eu cinq filles et aucun garçon. C'était très insultant pour lui. Mes deux grandes soeurs s'arrangeaient, étaient belles et commençaient à fréquenter des garçons. Et ça l'a toujours dérangé. Je me souviens de ça », a-t-elle déclaré en entrevue à La Presse.

« JE NE MANQUERAI JAMAIS UNE AUDIENCE »

Lors des deux premières audiences devant les commissaires aux libérations conditionnelles en 2011 et 2014, un paravent séparait le père et la fille, qui ne se sont aucunement vus. Mais jeudi dernier, pour la première fois, aucun paravent n'a été installé. Leurs regards se sont croisés à quelques reprises, parfois durant de longues secondes. El-Tomi n'a pas paru reconnaître sa fille, qu'il n'avait pas vue depuis plus de 20 ans.

« C'est important pour moi d'être là. Je ne manquerai jamais une audience. Lorsque c'est arrivé, j'étais jeune, je n'ai pas eu le droit de parole et je n'ai pu donner mon opinion. C'est le seul moment que je peux le faire. Je pourrais envoyer mon témoignage par vidéo, mais ça a un plus gros impact pour moi d'être sur place », dit Nora.

Comme elle le fait chaque fois, la jeune femme a déposé une lettre aux commissaires.

« Après 20 ans, je suis très surprise et effrayée de l'entendre aux audiences. Il parle comme s'il était une victime, mais il ne subit que les conséquences de ses propres gestes tandis que ma soeur et moi, nous devons subir les conséquences de ses gestes pour le reste de notre vie », conclut-elle dans sa note manuscrite.

Nora entend tout faire pour que son père reste derrière les barreaux. « Honnêtement, ce n'est que justice », dit-elle. S'il est libéré, elle ne veut plus jamais le voir.

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Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.