L'arrêt des procédures ordonné contre le chef présumé des Hells Angels Salvatore Cazzetta et de trois présumés trafiquants mohawks de cigarettes est détaillé dans une décision du juge James Brunton, dans laquelle il semble douter du choix de la Couronne d'avoir aussi porté une accusation de gangstérisme.

Dans ce jugement portant sur les trois comparses de la famille Rice - le père et ses deux fils -, le juge Brunton, de la Cour supérieure, explique sa décision d'ordonner l'arrêt des procédures. Il avait été plutôt bref la semaine dernière lors du jugement rendu oralement sur l'arrêt des procédures en faveur de Salvatore Cazzetta, qui avait lancé une onde de choc dans la communauté juridique.

Les déboires judiciaires de l'opération policière «Machine» en ce qui concerne ces quatre accusés sont ainsi mis en lumière dans le jugement publié jeudi.

L'opération «Machine» pour contrebande de tabac n'a par contre pas été vaine: 62 personnes arrêtées ont été condamnées, dont 10 d'entre elles pour des infractions liées au gangstérisme, entre autres.

Dans les motifs de la décision sur les membres de la famille Rice, qui valent aussi pour le présumé chef des Hells, le juge Brunton y détaille les trop longs délais judiciaires, à la base de sa décision.

Il les attribue en partie à la défense, mais aussi à la poursuite. «La Couronne n'a pas tenté de minimiser les délais dans des temps convenables dans cette affaire», écrit-il.

Les quatre hommes avaient été arrêtés en 2009 et faisaient face à cinq chefs d'accusation chacun, soit de complot et de fraude envers les gouvernements provincial et fédéral, pour taxes non remises, ainsi qu'un chef à l'effet que les fraudes alléguées avaient été faites au bénéfice d'une organisation criminelle.

Le procès de la famille Rice était prévu pour 2016  - soit 89 mois après les arrestations.

Quant au procès de Salvatore Cazzetta, qui se serait terminé à l'été 2017, il se serait traduit par un délai de 94 mois.

Les avocats des accusés ont appuyé leur argumentaire sur une récente décision de la Cour suprême dans l'arrêt Jordan qui a fixé la durée maximale des procédures en Cour du Québec à 18 mois, et à 30 mois en Cour supérieure.

Dans le jugement Rice, le juge Brunton indique que selon lui, cette affaire de contrebande n'était que «modérément complexe».

Mais le dossier s'est grandement compliqué par la décision de la Couronne d'inclure aussi une accusation de gangstérisme et de persister avec sa théorie initiale, à l'effet que cette organisation criminelle était celle des Hells Angels, écrit-il.

Ce qui a requis de la Couronne de présenter un expert additionnel, des preuves plus complexes de trafic de drogue et d'armes à feu, dans un dossier qui était à la base une «simple affaire de fraude».

«Un bloc additionnel de preuve a dû être communiqué pour soutenir ces allégations», poursuit le juge.

«Et cela, dans un dossier où une condamnation sur le chef de gangstérisme n'aurait pas grandement augmenté la peine si les accusés avaient aussi été reconnus coupables de la fraude de plusieurs millions de dollars», écrit-il.

Il ajoute que la Couronne ne semblait pas comprendre l'impact de sa décision d'inclure ce type de chef d'accusation dans l'affaire.

Il a ainsi ordonné l'arrêt des procédures contre les quatre hommes ainsi que leur libération.

Salvatore Cazzetta demeure néanmoins détenu, puisqu'il est également accusé en marge de l'opération «Magot Mastiff», qui visait à décapiter l'ensemble du crime organisé de la région montréalaise en novembre dernier.

La semaine dernière, la bâtonnière du Québec, Claudia P. Prémont, a fait une sortie en règle, affirmant qu'il «est inacceptable qu'autant de ressources publiques mises à contribution dans d'importantes enquêtes ne puissent connaître leur dénouement devant les tribunaux». Elle a interpellé l'ensemble des acteurs «pour que cette libération pour cause de délais soit la dernière».