Quand on franchit la porte de la prison de Bordeaux, on est immédiatement assailli par un bruit de ferraille perpétuel. Ça résonne, claque, grince. Ça oblige à élever la voix ou à se rapprocher de son interlocuteur. Il faut monter jusque dans la chapelle, sous le dôme central du complexe carcéral, au-dessus du poste de garde, pour échapper à l'horrible frottement du métal contre le métal.

Et là, tout à coup, c'est le calme. On devine la rumeur qui se poursuit derrière les portes, mais sans plus. « La chapelle est un lieu de paix et de grande quiétude pour les gars, qui ont droit aussi au beau, au vrai et au bon. Et il n'y a pas d'espace aussi lumineux dans toute la prison. Ça en fait un espace de liberté », estime l'aumônier Stéphane Roy qui exerce un ministère marqué par la compassion auprès de quelque 1500 hommes qui purgent leur peine ou qui attendent leur procès derrière les barreaux.

Depuis 2010, ce prêtre au gabarit de taulard circule librement à Bordeaux, tendant la main à l'un et l'oreille à l'autre. Son col romain fait office de carte de présentation, mais joue aussi le rôle de bouclier, parce qu'on ne touche pas à l'aumônier ! dit-il. « Bien sûr, au début, on m'a testé : on m'a demandé de rentrer du stock. Les prisonniers me forcent à chaque fois à choisir mes valeurs et mes réponses sont claires », raconte-t-il.

Avant de faire le saut dans le sacerdoce, Stéphane Roy a étudié en travail social et a été travailleur de rue auprès de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Il a donc une longue expérience en matière de délinquance de toutes sortes. « Mais ce n'est pas dans l'air du temps d'aimer les prisonniers. La société est dans une mouvance de droite. Il ne faudrait pas aller bien loin pour que le public réclame la peine de mort à cause de dossiers comme ceux de Guy Turcotte ou de Magnotta », se désole l'aumônier, assis bien droit sur une chaise au beau milieu de la chapelle.

Restauration

La beauté des lieux soutire un bref sourire au père Roy qui n'est pas peu fier de la restauration de la chapelle. Les travaux ont été réalisés l'année dernière dans la foulée du centième anniversaire de la construction du Centre de détention de Montréal, communément appelé la prison de Bordeaux. Il lève les yeux vers le ciel et l'on comprend que toute la richesse de l'endroit réside dans cet immense volume. La chapelle est petite (12 mètres de diamètre), mais le plafond est à plus de 18 mètres du sol. Et il y a des fenêtres tout en haut, qui font le tour de la pièce.

Avant de se refaire une beauté en 2014, la chapelle était peinte dans des tons de mauve et de violet. Surtout, la vue était obstruée par quatre poutres installées à mi-chemin du plafond, un changement effectué dans les années 70 pour contenir les coûts de chauffage dus à la crise du pétrole.

« La restauration a permis de lui rendre ses qualités d'élégance et d'élan spirituel d'origine », se réjouit l'architecte Paul Boudreau (Le Groupe des Sept, atelier d'architecture), qui en a signé les plans.

En novembre dernier, le Conseil du patrimoine religieux du Québec a souligné l'excellence de la restauration de la chapelle. Tout a été revu et corrigé. L'éclairage a complètement été repensé et permet de créer une ambiance propice au recueillement. Le faux-fini des 12 colonnes jumelles a été refait tout comme le plâtre des corniches et des corbeaux des colonnes. Les murs ont été peints en camaïeu, ce qui donne une impression de grandeur et de légèreté à l'ensemble.

Le christ a été replacé sur une croix qu'un gardien a fabriquée, l'archevêché de Montréal a offert un chemin de croix, et la grande toile, peinte par un prisonnier dans les années 50, a été restaurée. On y remarque l'influence du milieu carcéral dans les bras musclés des anges.

Un chantier bénit

L'entrepreneure en construction Kristelle Tremblay, qui a mené les travaux, raconte que le chantier s'est déroulé plus rondement que prévu. « On a fini ça en 10 semaines plutôt que 16. On croyait que ce serait un chantier difficile, mais avec l'aumônier qui a béni le chantier, tous les matins, durant le break des gars, ç'a sûrement donné un coup de main ! », dit-elle en riant.

Il a pourtant fallu que Mme Tremblay et ses travailleurs montrent patte blanche pour décrocher ce contrat de la Société québécoise des infrastructures (325 000 $) ; aucun d'entre eux ne devait avoir de casier judiciaire. « C'est aussi difficile d'entrer en prison que d'en sortir », estime la jeune entrepreneure.

Par ailleurs, l'équipe était coupée du monde extérieur sur le chantier : pas de cellulaire ni d'ordinateur. « Ça ne facilite pas les choses pour gérer son entreprise à distance, mais on y arrive. Et c'est sans compter qu'il a fallu entrer le matériel et l'équipement avec une grue à partir d'une cour. Mais le résultat en valait la peine », décrète fièrement Kristelle Tremblay.

Inspiration religieuse

La chapelle n'est qu'un élément d'un immense projet carcéral marqué par les symboles religieux. La conception de la prison remonte à 1908 et est signée Jean-Omer Marchand, premier architecte canadien diplômé de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

L'aumônier explique que le complexe est constitué d'une aile d'entrée et de cinq autres où l'on retrouve les cellules des prisonniers. Le chiffre cinq rappelle les cinq plaies du Christ crucifié, symbole des péchés de l'humanité. Ces ailes s'élèvent sur trois étages symbolisant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. On compte 33 cellules par étage, en mémoire de l'âge qu'avait Jésus à sa mort. Finalement, chaque partie du bâtiment repose sur 12 colonnes, comme Jésus s'est appuyé sur les 12 apôtres.

Toutes les ailes se rejoignent en un point central qui est une tour surmontée par un dôme. C'est là que se situe la chapelle construite à cet endroit stratégique afin de permettre à tous les prisonniers de l'apercevoir et d'ainsi prier Dieu pour leur repentir, espérait-on au début du XXe siècle.

Il fut une époque où les prisonniers pouvaient assister à la messe en longeant le corridor qui conduisait à la chapelle. Ces accès sont maintenant murés.

En 1912, la prison a été construite en pleine campagne, dans le quartier Bordeaux. Elle était si moderne avec l'électricité et les toilettes à chasse d'eau qu'elle apparaissait très luxueuse comparativement aux maisons de ferme du voisinage.

Aujourd'hui, la chapelle est toujours un lieu de culte, mais différentes activités s'y déroulent également. Les professionnels du CLSC l'empruntent pour des rencontres avec les détenus et l'on y présente des films de répertoire, par exemple.

« Un de mes dadas, c'est la guérison intérieure, et la chapelle est un lieu d'apaisement », conclut Stéphane Roy avant de reconduire les représentants de La Presse jusqu'à la sortie, à travers les bruits de métal qui résonnent.