Le Barreau du Québec ajoute sa voix à tous ceux qui prétendent que le projet de loi 59 constitue une menace potentielle à la liberté d'expression, risquant ainsi de ne pas passer le test des tribunaux s'il est adopté.

Le Barreau appuie le principe du projet de loi, mais demande au gouvernement de refaire ses devoirs.

Le projet de loi défendu par la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, vise essentiellement à contrer le discours haineux, un concept bien mal défini par le gouvernement, a fait valoir mercredi la présidente du comité sur les droits de la personne du Barreau, Me Pearl Eliadis, dans le cadre de la consultation menée sur la pièce législative controversée.

Mais il y a pire. Le Barreau juge que le projet de loi 59 est contestable sur le plan constitutionnel, puisqu'il contreviendrait à l'article 2 de la Charte canadienne des droits protégeant la liberté d'expression, de conscience et de religion.

«Il y a plusieurs risques importants» de contestation judiciaire associés à ce projet de loi, a commenté Me Eliadis en point de presse, après son témoignage devant les élus.

Le Barreau met aussi en garde le gouvernement contre la tentation de rendre publique la liste des personnes sanctionnées par le Tribunal des droits de la personne pour avoir tenu ou diffusé des propos haineux ou incitant à la violence.

Par ce geste, Québec s'apprête à bafouer les libertés civiles et à renier le droit à la vie privée, «un grand problème», a fait valoir Me Eliadis.

«Le Barreau du Québec s'est prononcé contre ce genre de liste», a-t-elle dit, car ce procédé ouvre la porte à toutes sortes de dérives: «Quelle est la procédure pour demander que le nom soit enlevé? Quelles sont les conséquences pour le voisinage?», s'est-elle interrogée.

«Le caractère public de cette liste peut par ailleurs soulever des questions. Dès que le nom d'une personne y sera publié, quiconque pourra se servir de cette information, la retransmettre, la stocker», et ce, même si le nom a été retiré de la fameuse liste, peut-on lire dans le mémoire.

De plus, Québec a tort de vouloir faire prendre à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) un virage punitif au lieu de privilégier la prévention et l'éducation, un choix qui dénature «la mission fondamentale» de l'organisme, dénonce le Barreau dans son mémoire étoffé remis à l'Assemblée nationale.

«Le premier rôle d'une Commission des droits, selon les décisions de la Cour suprême, est un rôle préventif», rappelle l'avocate.

La veille, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse elle-même était venue réclamer que le gouvernement retire la liste du projet de loi, parce qu'elle «pose des risques sérieux d'atteinte aux droits, notamment au droit à la sauvegarde de la dignité, de l'honneur et de la réputation de la personne».

«Il serait paradoxal que la Commission participe à l'atteinte aux droits et libertés de la personne», indique l'organisme dans son mémoire.

Djemila Benhabib

L'essayiste féministe musulmane et ex-candidate du Parti québécois, Djemila Benhabib, a fait entendre le même son de cloche en mettant en garde le gouvernement contre la possibilité de criminaliser toute critique de la religion.

Elle a dit que le concept de «discours haineux» était un concept «fourre-tout» et que le projet de loi ne tenait pas la route.

Mme Benhabib a dit critiquer le projet de loi «sans partisanerie».

Les échanges entre la ministre Vallée et elle ont été difficiles.

«Nous ne sommes pas à la solde de l'islam», a répliqué la ministre aux arguments de Mme Benhabib, après lui avoir reproché son manque de ponctualité et avoir tracé un parallèle entre son discours et celui tenu la veille par Adil Charkaoui.

Jusqu'à maintenant, la plupart des intervenants entendus durant la consultation ont émis d'énormes réserves sur les orientations du projet de loi 59, qui entend lutter contre les discours haineux, les appels à la violence, et prévenir les mariages forcés, de même que les crimes dits d'honneur.