Accuser sans fondement une entreprise de fraude peut coûter cher. Et présenter des excuses trois ans plus tard ne suffit pas à effacer la faute. Poursuivie en diffamation, la petite municipalité de Sainte-Marthe-sur-le-Lac vient d'être condamnée à payer 1,9 million à une firme de génie qu'elle avait accusée injustement de malversations.

Au terme d'une saga judiciaire de près de 15 ans, la juge Guylène Beaugé ne mâche pas ses mots envers Sainte-Marthe, qui avait accusé sur la place publique la firme Experts-conseils RB (ERB) de « fraude et d'abus de confiance » en 2001. Dans son jugement daté du 14 août, elle qualifie de « téméraires, pernicieuses et calomnieuses » les allégations que la municipalité a fini par reconnaître « non fondées ».

En accusant ainsi la firme de génie sur la place publique, Sainte-Marthe voulait, estime le tribunal, « briser cette entreprise qui la poursuivait pour honoraires impayés ».

En raison des conséquences importantes sur la firme, qui a perdu plusieurs contrats avec d'autres municipalités, la juge a accordé à ERB un dédommagement important de 1,8 million pour couvrir sa perte de valeur. Elle a aussi condamné Sainte-Marthe à verser 50 000 $ en préjudice moral, ainsi que 30 000 $ en dommages punitifs.

Conflit dans un projet majeur

Toute cette saga a débuté en 1996 quand Sainte-Marthe a confié à ERB, appelée Groupe Projeco à l'époque, un projet de 18 millions pour la construction d'un nouveau réseau d'égouts sur son territoire.

Mais trois ans après le début des travaux, un conflit a éclaté, si bien que la municipalité a cessé tout paiement à partir de novembre 1999. Estimant ne pas avoir été payée pour tous ses services, l'entreprise a poursuivi Sainte-Marthe pour 1 million, en janvier 2001.

La situation s'est envenimée quand la municipalité a décidé de répliquer par une contre-poursuite de 1,6 million. La requête était particulièrement virulente, accusant l'entreprise de « fraude et d'abus de confiance ». Et ce, même si elle n'a jamais porté plainte à la police pour ces prétendues malversations.

Sainte-Marthe ne s'est pas contentée de répliquer devant les tribunaux : elle a aussi lancé une offensive sur la place publique en diffusant ses accusations dans un communiqué de presse largement repris par les médias locaux.

Se disant anéanti par la réplique, le propriétaire d'ERB, René Bourgeois, a alors déposé en janvier 2002 une poursuite en diffamation. Sainte-Marthe a bien tenté de régler le litige en décembre 2003 en présentant publiquement des excuses pour ses « accusations non fondées ». La municipalité avait alors versé 1,1 million en honoraires à la firme de génie pour son travail dans le projet d'égouts.

Malgré cette rétractation, ERB, dont 80 % des clients étaient des municipalités, a maintenu sa poursuite en diffamation en raison de l'effet dévastateur de cette sortie sur ses affaires. Plusieurs administrations ont cessé de faire affaire avec elle en raison des articles. Durant le procès, le maire de Saint-Donat a reconnu avoir tourné le dos à ERB en raison des articles dévastateurs dont elle avait fait l'objet.

Reste maintenant à voir les répercussions que cette condamnation de 1,9 million auront sur les finances de Sainte-Marthe, dont le budget annuel est d'environ 23 millions. Une telle somme peut représenter un important fardeau pour une petite ville.

La municipalité américaine de Hillview, au Kentucky, a récemment appris à ses dépens à quel point une saga judiciaire peut s'avérer désastreuse. Condamnée à payer 11,4 millions à une entreprise, Hillview, qui compte 8000 habitants, vient de se placer sous la protection de la loi sur la faillite, incapable de payer une telle somme. C'est la 54e ville américaine à faire faillite depuis 1980.