Après 13 ans en détention, dont 10 à Guantanamo Bay, Omar Khadr a recouvré la liberté la semaine dernière. Une semaine remplie de petits bonheurs et bonifiée par une victoire à la Cour suprême. Récit d'un témoin privilégié: son avocat, aussi devenu son «père» d'accueil.

Que peut-on offrir en cadeau à un jeune homme de 28 ans qui est derrière les barreaux depuis ses 15 ans et qui goûte au vertige de la liberté depuis une semaine? Avocat d'Omar Khadr depuis plus d'une décennie, Dennis Edney n'a pas hésité une seconde. «Je lui ai acheté une bicyclette», raconte-t-il.

«Depuis, ma femme dit qu'elle est incapable de l'en séparer», ajoute l'avocat albertain, joint par La Presse vendredi à Ottawa.

«Omar est heureux d'être libre et il devrait l'être», continue Dennis Edney, qui a rencontré l'enfant-soldat à Guantánamo en 2003. Depuis, M. Edney et son collègue Nathan Whitling, aussi d'Alberta, se battent pour le jeune Canadien avec l'énergie du désespoir.

Au moment de l'entrevue, l'homme de loi s'apprêtait à quitter Ottawa après avoir remporté jeudi sa troisième victoire à la Cour suprême pour son client. Il allait rejoindre sa famille et le jeune Khadr pour une semaine au chalet, sur le bord d'un lac. «Nous allons avoir du plaisir. Je veux qu'Omar relaxe et tranquillement, je vais lui présenter des gens», jubile l'avocat au fort accent écossais. Il attend ce moment depuis longtemps.

Famille d'accueil

Dennis Edney est plus qu'un avocat pour Omar Khadr. Sa femme, ses fils et lui sont devenus la famille d'accueil de l'ancien détenu de Guantánamo quand ce dernier été libéré par une cour albertaine le 7 mai.

Selon ses conditions de mise en liberté, Omar Khadr doit être dans la résidence des Edney, à Edmonton ou à leur chalet de Colombie-Britannique pour le couvre-feu de 22h tous les jours. Il doit aussi porter un bracelet GPS et ne peut utiliser l'internet sans supervision.

Les liens avec sa contreversée famille biologique, qui a maintes fois pris position en faveur du djihad et d'Al-Qaïda, sont limités à des appels Skype.

L'accueil d'une communauté

Dennis Edney raconte que sa femme, ses fils et son voisinage ont bien accueilli l'arrivée d'Omar Khadr, et ce, malgré les mots durs du gouvernement Harper qui a tenté par tous les moyens d'empêcher la mise en liberté du jeune homme. «Ma femme est l'épine dorsale de notre bataille juridique depuis des années et elle est heureuse de l'avoir à la maison. Mon plus jeune fils, Duncan, l'a invité à jouer au soccer avec ses amis. Il y a des voisins qui sont venus se présenter à Omar, certains ont amené des fleurs et des petits cadeaux», se réjouit Dennis Edney.

Selon lui, le point de presse qu'a donné Omar Khadr, quelques heures après sa mise en liberté, a eu un impact phénoménal sur la perception du public canadien. «L'occasion de le voir parler, même pour un bref moment, a changé beaucoup de choses. J'ai reçu plus de 1000 courriels d'encouragement et de félicitations», dit Dennis Edney. Lors de son entrevue télévisuelle, Omar Khadr a demandé aux Canadiens de lui donner une chance et affirmé qu'il prouverait qu'il est une bien meilleure personne que ne veut le croire le premier ministre canadien.

Le projet universitaire

Le premier objectif d'Omar Khadr, dit Dennis Edney, est de retourner sur les bancs d'école. Titulaire d'un diplôme d'études secondaires qu'il a obtenu en prison, il entamera bientôt un baccalauréat dans une université d'Edmonton.

L'aspirant médecin

Le rêve d'enfance d'Omar Khadr, né en Ontario en 1986, était de devenir médecin. Or, son père, un des principaux financiers d'Al-Qaïda, en a décidé autrement. Omar avait 10 ans quand sa famille a déménagé en Afghanistan pour vivre auprès d'Oussama ben Laden.

Cinq ans plus tard, Omar Khadr était grièvement blessé lors d'une attaque afghano-américaine. C'est au cours de cette bataille qu'il aurait lancé une grenade qui a tué un soldat des Forces spéciales américaines, Christopher Speer.

En 2010, dans l'espoir de revenir au Canada, Omar Khadr a reconnu sa culpabilité devant la controversée commission militaire de Guantánamo, écopant de 40 ans d'emprisonnement. Les années qu'il avait déjà passées en détention à Guantánamo, ont été prises en compte et sa peine a été réduite à huit ans. En 2012, Omar Khadr est rentré au Canada pour purger le reste de sa peine.

Longues procédures en vue

Aujourd'hui, ses avocats soutiennent que leur client a été contraint d'accepter la plaidoirie de culpabilité préparée par le Pentagone. Ils portent en appel sa condamnation. Le processus judiciaire devrait s'étirer des années encore, admet Dennis Edney. «Je suis complètement épuisé. J'ai hâte d'avoir une vie», dit l'avocat qui travaille pro bono depuis le début.

«Au cours des ans, (Nathan Whitling et moi) avons reçu environ 20 000$ de dons. Je n'ose même pas dire ce que ça nous a coûté», ajoute-t-il.

Ces jours-ci, cependant, il a l'impression que le jeu en valait la chandelle. «Après des années très difficiles, la dernière semaine en a été une de joie», concède-t-il.