La Cour suprême du Canada a tranché que l'ancien prisonnier de Guantanamo Omar Khadr ne devait pas être traité comme un contrevenant adulte, jeudi, rejetant sans perdre de temps l'appel du gouvernement fédéral.

C'était la troisième fois que le dossier d'Omar Khadr se retrouvait devant le plus haut tribunal du pays, et les juges lui ont donné raison les trois fois.

Dans cette dernière cause, la Cour suprême devait déterminer si la peine de huit ans pour crimes de guerre imposée à Omar Khadr par une commission militaire américaine en 2010 devait être interprétée comme une peine pour adulte ou pour jeune contrevenant.

Le gouvernement fédéral a qualifié sans relâche le jeune homme de terroriste endurci, arguant qu'il avait en fait reçu cinq peines concurrentes de huit ans pour chaque crime de guerre dont il était accusé - une conclusion que les neuf juges de la Cour suprême ont unanimement rejetée.

Dans un rare jugement rendu sur le banc peu après la fin de l'audience, jeudi, la juge en chef Beverley McLachlin a rejeté l'appel du gouvernement fédéral, affirmant que M. Khadr n'a pas reçu cinq peines concurrentes et que son temps de détention devrait être purgé dans une prison provinciale, et non dans un pénitencier fédéral.

«Cette peine est en-dessous du minimum d'une peine pour adulte», a déclaré la juge en chef dans la salle de cour après environ 30 minutes de délibérations.

«Nous sommes d'avis que l'interprétation correcte de la législation pertinente ne permet pas à la peine de huit ans de M. Khadr d'être traitée comme cinq peines distinctes de huit ans à être purgées de façon concurrente.»

Comparativement à la peine obligatoire pour meurtre prémédité pour un adulte, qui est la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, «huit ans pour meurtre prémédité serait une peine pour jeune contrevenant», a ajouté la juge Andromache Karakastanis.

Les juges du plus haut tribunal du pays ont ordonné au gouvernement de payer les frais de la cause de M. Khadr et confirmé le jugement précédent de la Cour d'appel de l'Alberta, qui avait déterminé que sa sentence devait être purgée dans un établissement de détention provincial.

Le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, s'est dit «déçu» de la décision, jeudi.

«En tout temps, nous nous concentrons sur le soutien aux victimes de crimes et la sécurité des Canadiens. Omar Khadr a plaidé coupable à des crimes odieux, y compris l'assassinat du sergent infirmier de l'armée américaine Christopher Speer», a-t-il déclaré dans un courriel transmis par son bureau.

Dennis Edney, l'avocat d'Omar Khadr avec qui celui-ci habite actuellement à Edmonton sous de strictes conditions, a déclaré que la rapidité du jugement était un message au gouvernement Harper de cesser de gaspiller l'argent des contribuables pour «persécuter» son client.

Debout dans le vaste hall de marbre de la Cour suprême à Ottawa, M. Edney a répété l'accusation qu'il avait déjà portée contre le premier ministre Stephen Harper la semaine dernière.

«J'en suis venu à la conclusion que... M. Harper est un fanatique, a-t-il dit. M. Harper n'aime pas les musulmans et il y a des preuves qui le démontrent.»

Le gouvernement fédéral avait notamment plaidé que le Canada a des ententes d'extradition avec quelque 83 pays, et que chacun d'entre eux s'attend à ce que les contrevenants transférés au pays purgent la peine imposée.

La peine d'Omar Khadr n'est pas sujette à interprétation, avait de son côté plaidé son avocat Nate Whitling. Une peine concurrente n'a pas de précédent dans la procédure militaire américaine et ne trouve aucun fondement dans le droit canadien, a-t-il ajouté.

Les avocats du jeune homme affirment que le gouvernement Harper est vindicatif alors qu'il poursuit avec vigueur sa plateforme dans laquelle les conservateurs promettent d'être durs envers le crime et les terroristes, à l'approche des élections d'octobre 2015.

Omar Khadr avait 15 ans lorsqu'il a lancé une grenade qui aurait tué un soldat américain en Afghanistan, en 2002.

Après près de 13 ans de détention, Omar Khadr, aujourd'hui âgé de 28 ans, a été libéré avec conditions la semaine dernière dans l'attente de l'appel de sa condamnation aux États-Unis, qui avait suscité de sévères critiques des experts juridiques et en droits de la personne.

M. Edney a déclaré jeudi que son client vit dans une maison «remplie d'amour» et qu'il est une bonne personne. Lors de sa première semaine de liberté, Omar Khadr a passé beaucoup de temps à faire du vélo, a-t-il ajouté.

«Il va aller à l'université et commencer à s'adapter, et va rester discret car il veut faire partie du Canada.»

L'un des voisins de M. Edney, en vacances à Ottawa, a emmené sa femme et six enfants dans la salle de cour pour l'audience de jeudi. Il était rayonnant après le jugement.

«Nous avons rencontré Omar. Il est une personne incroyable - presque surhumaine», a déclaré Shelby Haque.

Auparavant, la Cour suprême avait donné raison par deux fois à Omar Khadr. La Cour a tranché en 2008 que les responsables canadiens avaient agi illégalement en partageant des renseignements de sécurité à son sujet avec ses geôliers américains. En 2012, le plus haut tribunal du pays avait jugé qu'Ottawa avait violé ses droits constitutionnels lorsque des agents canadiens l'avaient interrogé à la prison militaire américaine de Guantanamo Bay même s'ils savaient qu'il avait subi des sévices.