Des parties prenantes des deux côtés du débat sur l'aide médicale à mourir s'attendent à ce que la décision qui sera rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter aujourd'hui ait un impact particulièrement important au Québec.

Vingt ans après la dernière décision de la Cour suprême sur la question, des femmes de la Colombie-Britannique atteintes de maladies dégénératives ont demandé aux tribunaux de déclarer que l'interdiction de l'aide médicale à mourir contenue dans le Code criminel du Canada est inconstitutionnelle.

Le jugement de la Cour dans cette affaire Carter s'appliquerait partout au Canada. Mais l'arrêt pourrait provoquer une véritable onde de choc au Québec, en donnant des munitions soit aux partisans, soit aux opposants de la loi québécoise sur les soins en fin de vie.

La constitutionnalité de cette loi adoptée en juin 2014 est elle-même contestée devant la Cour supérieure du Québec.

«On s'attend à ce que ça ait un impact sérieux sur notre recours contre la loi 52 au Québec. C'est pour ça qu'on a demandé la permission d'intervenir en Cour suprême», a convenu Michel Racicot, avocat à la retraite et membre du conseil d'administration du groupe Vivre dans la dignité.

«La loi a été adoptée au Québec, et si ça peut se régler au fédéral en plus, tout le monde sera rassuré. Les choses vont être claires et pour moi, la poursuite des opposants va tomber d'elle-même», a lancé quant à elle Hélène Bolduc, fondatrice et ex-présidente de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Le groupe est lui aussi intervenu en Cour suprême dans l'affaire Carter.

Charte canadienne

Toutes deux atteintes d'une maladie dégénérative incurable, Kay Carter et Gloria Taylor ont contesté l'interdiction de l'aide médicale à mourir énoncée dans l'article 241 du Code criminel. La Cour suprême de la Colombie-Britannique leur a donné raison et statué que l'interdiction contrevient à l'article 7 de la Charte des droits et libertés du Canada, qui garantit le droit à la vie, la liberté et la sécurité. Les demanderesses sont mortes depuis, mais leurs familles et des groupes comme la BC Civil Liberties Association ont poursuivi leur combat.

La Cour d'appel a infirmé cette décision et il incombera à la Cour suprême de trancher aujourd'hui. Elle devra entre autres déterminer si l'interdiction contrevient bel et bien aux articles 7 et 15 de la Charte. Elle pourrait aussi déterminer qui, des provinces, du gouvernement fédéral ou des deux, est constitutionnellement habilité à légiférer en la matière.

C'est cette question de compétence qui pourrait avoir le plus d'impact sur le sort de la loi québécoise et du recours intenté contre elle en Cour supérieure. Le gouvernement fédéral a fait valoir dans son mémoire déposé en Cour suprême que sa compétence en matière de droit criminel a préséance sur celle du Québec en matière de santé. Or, c'est en vertu de cette dernière compétence que Québec a légiféré sur l'aide médicale à mourir.

Les procédures des gouvernements du Québec et du Canada sont attendues d'ici une dizaine de jours par la Cour supérieure dans le dossier de la contestation de la loi québécoise. L'arrêt de la Cour suprême pourrait donc avoir un impact important sur les arguments qui y seront présentés. Une conférence avec le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, est aussi prévue, une fois l'arrêt de la Cour suprême rendu, afin de décider de la suite des choses dans le dossier.

Quatre mots pour comprendre... la décision d'aujourd'hui

Parlement

On ignore évidemment quelle sera la décision de la Cour suprême. Mais si elle décidait d'invalider l'article 241, elle pourrait renvoyer la balle au Parlement fédéral pour qu'il établisse de nouveaux paramètres, comme elle l'a fait dans le cas de la prostitution. Des intervenants au dossier, dont le gouvernement du Québec, ont plaidé pour la formulation de lignes directrices à l'intention du législateur, le cas échéant.

Glissante

Comme dans «pente glissante». C'est l'argument le plus souvent avancé par les opposants de l'aide médicale à mourir, dont le gouvernement Harper. Il s'agit du risque d'abus que pourrait engendrer la légalisation de cette pratique pour les plus vulnérables, dont les aînés et les personnes handicapées. Les partisans affirment qu'au contraire, la crainte de la «pente glissante» ne s'est pas concrétisée dans la dizaine d'États qui ont ouvert la porte à l'aide médicale à mourir depuis le milieu des années 90.

Rodriguez

Dans une décision à cinq juges contre quatre, la Cour suprême a maintenu la validité de l'article 241 dans l'affaire Sue Rodriguez en 1993. La juge en chef actuelle, Beverley McLachlin, faisait partie de la minorité et aurait invalidé la disposition. Sa cour devra décider aujourd'hui si le précédent qu'elle a elle-même établi est toujours valide, malgré le passage du temps, l'évolution des moeurs canadiennes et le bilan des autres modèles qui ont depuis été mis en oeuvre dans une dizaine d'États du monde.

Portée

Aide médicale à mourir, euthanasie, suicide assisté; maladie incurable, douleur physique, douleur psychologique... Jusqu'où et à qui s'étendrait une potentielle invalidation de l'article 241? Cela pourrait être l'un des aspects les plus importants du jugement. Se limiterait-il aux personnes atteintes de maladie dégénérative incurable, comme les demanderesses, et à la seule autorisation de prescrire des médicaments, ou irait-il plus loin?