Le palais de justice de Montréal a fait un bond technologique au début de l'été: le WiFi est désormais accessible en certains endroits de l'édifice!

Ne nous moquons pas de cette modeste avancée, car elle pourrait n'être qu'un début. Des chercheurs de l'Université de Montréal ont des visées bien plus pointues pour le système de justice. Dans le futur, on pourrait déposer des procédures de manière électronique, régler certains litiges à l'ordinateur, communiquer en salle d'audience au moyen de tablettes électroniques, même avoir un accès en ligne aux dossiers de cour.

«Il faut passer cinq minutes dans une salle d'audience pour le constater: notre système accuse un retard assez incroyable sur la société en général en matière de technologies. Notre objectif, c'est de faire de la recherche et développer des applications pour amener la justice au XXIe siècle», explique Nicolas Vermeys, professeur de droit et directeur adjoint du Laboratoire de cyberjustice à l'Université de Montréal.

Inauguré en 2011, le Laboratoire de cyberjustice regroupe 36 chercheurs de Montréal, d'ailleurs au Canada et d'autres pays, dont l'Australie, la France, les États-Unis... Ils cherchent des solutions pour rendre le système judiciaire plus efficace, avec économies à la clé. M. Vermeys entrevoit notamment des économies de temps, de frais de déplacement, d'imprimerie...

Le papier, on le sait, est en décote à peu près partout. Mais il est toujours omniprésent dans le système de justice. Les greffières dans les salles de cour en sont encore à faire leurs annotations à la main. Et pour tout dossier, il y a un minimum de trois ou quatre copies à faire: une pour les parties et une pour le juge... «Si on va en appel, il faut une copie pour chacun des juges de la Cour d'appel, et ainsi de suite. Si un dossier a 1000 documents d'une page, on parle de 1000 pages en quatre copies. À 1$ la page, c'est 4000$, et c'est le client qui paie», explique-t-il.

Technophiles

M. Vermeys remarque que les avocats sont «très technophiles» dans leur cabinet. Les juges également. «Mais à l'intérieur des salles d'audience, on en est encore à utiliser du papier et la présence physique des parties.»

«En Australie, ils sont beaucoup plus avancés. Et certaines cours des États-Unis aussi.» Il note des avancées intéressantes en Colombie-Britannique pour le dépôt électronique des procédures, mais signale que cela dépend du tribunal. Ici, par exemple, la Régie de l'énergie fonctionne sans papier. «Mais ils ont un avantage: le nombre d'intervenants est limité», précise M. Vermeys.

Faire des erreurs

C'est bien connu, le monde informatique change rapidement. L'appareil hyper-performant qu'on achète à fort prix devient souvent obsolète après deux ans. Cette réalité - et les coûts qu'elle engendre - freine l'ardeur des sociétés et des gouvernements. Au Québec, dans le cadre du Système intégré d'information de justice (SIIJ), 35 millions ont été engloutis dans un projet de modernisation qui n'a pas abouti.

«Quand on se compare, on se console, souligne M. Vermeys. En Ontario, ils ont fait la même chose et ont gaspillé une centaine de millions. Ils ont eu une approche monolithique: de l'arrestation à la libération conditionnelle, ils ont voulu informatiser tout le processus. Ça a bouleversé le fonctionnement, et ils n'ont pas tenu compte du fait que certains ordinateurs roulaient encore sur Windows 95, alors qu'il fallait le 2000 pour que ça fonctionne. Ils n'avaient pas prévu les budgets pour changer tout le parc informatique du ministère de la Justice.»

Au Laboratoire de cyberjustice, on s'adapte évidemment à l'avancée de la technologie. Ainsi, l'iPad est très utilisé.

«Quand on a commencé, en 2009, les iPad n'existaient pas. On a opté pour des écrans tactiles qui ont beaucoup de fonctionnalités. Ils sont plus complets, ils sont amusants, mais ils nécessitent beaucoup de programmation et ils coûtent 10 000$ pièce, donc ils sont beaucoup moins accessibles. On s'en sert maintenant comme écran d'appoint», relate M. Vermeys.

La migration du système de justice vers l'informatique aura assurément lieu, mais quand? Pour sa part, le Laboratoire de cyberjustice espère mettre en branle au cours des prochaines années un projet-pilote de résolution de litiges en ligne, avec la division des petites créances de la Cour du Québec. PARLe, une application qui permet la négociation et la médiation en ligne, sera mise à contribution.

Le Laboratoire de cyberjustice, établi dans la Faculté de droit de l'Université de Montréal, est composé de trois salles, dont une salle d'audience qui permet de reproduire les conditions d'un procès. Sa construction, au coût de 6 millions, a été financée par les gouvernements du Québec et du Canada. Un financement de recherche de 2,5 millions pour sept ans (de 2011 à 2018) lui a été accordé par le Conseil canadien de recherches en sciences humaines.