C'est une affaire d'une infinie tristesse que la Cour supérieure de Québec a été appelée à trancher, récemment. Allant à l'encontre de la volonté des parents, la Cour ordonne qu'une femme de 22 ans, dans le coma depuis le 14 mars dernier à la suite d'une surdose d'héroïne, reçoive les soins assurant sa survie au moins jusqu'au 2 juin.

Les parents de la jeune femme demandaient qu'on cesse les soins, expliquant que c'est ce qu'elle voudrait si elle pouvait s'exprimer. Ils sont persuadés que leur fille a voulu se suicider quand elle s'est injecté de l'héroïne, il y a un peu plus de cinq semaines. Elle aurait fait des verbalisations en ce sens le 14 mars dernier, jour où elle est sortie de prison après plusieurs mois d'incarcération. Plus tard ce jour-là, elle a été retrouvée en arrêt cardiaque, à la suite d'une surdose d'héroïne. Elle a été réanimée par les ambulanciers, mais a subi deux autres arrêts cardiaques par la suite. Chaque fois, elle a été réanimée. Depuis, elle est hospitalisée aux soins intensifs de l'hôpital de l'Enfant-Jésus, à Québec. Elle n'a pas repris connaissance. Elle est intubée et ventilée.

Possibles séquelles

Dix jours après le drame, les parents ont exprimé leur désir qu'on interrompe les soins de survie. L'hôpital s'est tourné vers la Cour supérieure pour obtenir l'autorisation de continuer. Les médecins conviennent que la jeune femme pourrait souffrir de graves séquelles si jamais elle émerge de son coma. Mais les tests effectués ne permettent pas d'établir un diagnostic précis ni un pronostic clair. Seul l'écoulement du temps permettra d'obtenir des signes cliniques probants, a noté le juge Étienne Parent dans un jugement étoffé.

Le médecin traitant a l'impression que la jeune femme répond à la stimulation visuelle et auditive, notamment en clignant des yeux lorsqu'on l'approche. Le délai de 60 jours devrait permettre d'évaluer les séquelles, a-t-il soutenu. Il admet cependant que si la jeune femme devait subir un nouvel arrêt cardiaque, il ne serait pas raisonnable de la réanimer, car elle aurait probablement de très graves séquelles après un quatrième arrêt cardiaque.

Lourd passé

Le père a expliqué au juge que sa fille consommait beaucoup et depuis plusieurs années. Elle a vécu dans des milieux criminels et a fait des séjours en prison. Elle n'a jamais eu la garde de son enfant de cinq ans, qui a été confié à sa grand-mère maternelle. Même si sa fille n'a pas laissé de note de suicide, le père sait que c'est ce qu'elle a voulu faire. Elle n'avait jamais consommé par voie intraveineuse auparavant, a-t-il fait valoir devant le juge.

L'homme travaille lui-même dans un hôpital, où il est en contact avec des personnes souffrant d'importants traumatismes. S'appuyant sur l'article 12 du Code civil du Québec, il demandait que l'on respecte la volonté de sa fille, et qu'on la «laisse partir». Cet article relatif au consentement par autrui aux soins stipule que l'on doit tenir compte dans la mesure du possible des volontés que la personne a pu manifester.

Trop d'incertitudes

Le juge évalue cependant que les circonstances de la surdose de drogue ne permettent pas de conclure que la jeune femme «a manifesté en toute connaissance de cause la volonté de ne recevoir aucun soin, particulièrement dans le contexte actuel». Cela soulève même davantage de questions, selon le magistrat, car «les circonstances précédant l'hospitalisation ne sont pas suffisamment graves, précises et concordantes» pour conclure à un suicide. C'est trop incertain pour justifier un arrêt de soins qui conduirait très rapidement à la mort de la jeune femme, analyse-t-il.

Le juge note que le type de soins est un des critères de l'article 12. Dans le cas présent, le plan de soins est minimal. Il s'agit principalement de continuer d'alimenter et d'hydrater la jeune femme et, au besoin, de la réintuber si son état se détériore lors d'une éventuelle extubation. Ces soins ne pourront pas aggraver son état extrêmement précaire, mais ils permettront de la maintenir en vie, ce qui devrait permettre d'évaluer son état.

Le juge a aussi retenu qu'un grand respect régnait entre les parents et le médecin, malgré la situation difficile. Chaque partie a exposé sobrement sa position.

Me Marie-Nancy Paquet, qui représente l'hôpital dans cette affaire, n'a pas voulu commenter. «Tous les détails sont protégés par la confidentialité», a-t-elle indiqué. L'avocate a cependant été impressionnée par la sensibilité avec laquelle le juge Parent a traité l'affaire. «Les dossiers en autorisation de soins sont rarement argumentés à ce point-là», a-t-elle dit.

Le Code civil du Québec stipule entre autres que:

> Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.

> Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins.

> Lorsque l'inaptitude d'un majeur est constatée (c'est le cas ici), le consentement est donné par une autre personne, par exemple un proche parent ou une personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier.

> L'autorisation du tribunal est nécessaire pour continuer les soins quand il y a empêchement ou refus injustifié.