Consciente que l'affaire Guy Turcotte a ébranlé la confiance de la population, l'Association des médecins psychiatres du Québec a décidé de s'attaquer aux «failles» du système de justice actuel, dans lequel les experts jouent un rôle central.

Une sortie publique qui réjouit Isabelle Gaston, ex-conjointe de Guy Turcotte, lequel subira un second procès pour le meurtre prémédité de ses deux enfants. «Ça fait du bien de voir des gens crédibles prendre ce genre de positions publiquement», a-t-elle lâché spontanément lorsque La Presse l'a jointe par téléphone.

Isabelle Gaston a elle-même déposé un mémoire au Collège des médecins à ce sujet, pour qu'on réitère l'importance de l'impartialité des experts. «On ne tolérerait pas qu'on achète un juge, mais on tolère qu'on se magasine un expert qui va influencer le juge et le jury», déplore-t-elle.

Au terme du premier procès, durant lequel on a assisté à une guerre d'experts, Guy Turcotte a obtenu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. La Cour d'appel a récemment ordonné un second procès.

«Trois principales failles»

Manque de balises pour encadrer la pratique d'un expert, absence d'inspections professionnelles et manque de transparence: l'Association des médecins psychiatres du Québec se fait très critique à l'endroit du système actuel.

«En ce moment, il n'y a aucun standard», a révélé sa présidente, la Dre Karine J. Igartua, en conférence de presse, hier, à Montréal.

Ainsi un psychiatre qui n'a jamais travaillé en pédopsychiatrie de sa carrière pourrait être appelé à titre d'expert à la cour dans une cause qui requiert l'évaluation d'un enfant, déplore l'Association.

«Il y a peu ou pas d'inspections professionnelles», ajoute la présidente de l'Association qui recommande au Collège des médecins de vérifier la qualité de l'opinion et la cohérence des expertises réalisées par un même expert au fil du temps.

Mettre fin au «magasinage»

Au lieu que les parties en litige se livrent à un «magasinage» d'experts jusqu'à ce qu'elles en trouvent chacune un qui accrédite leurs thèses respectives, c'est le tribunal qui devrait en désigner un commun aux deux parties, recommande l'Association.

La recommandation de l'«expert unique» risque de «bousculer beaucoup de monde», reconnaît la Dre Igartua. Le rôle de l'expert est d'éclairer le tribunal, et non pas d'être utilisé comme un atout dans une stratégie juridique, précise la présidente de l'Association qui a sondé ses membres sur la question.

L'Association des médecins psychiatres reconnaît que cette recommandation va déplaire aux avocats qui pratiquent le droit criminel. Dans des causes complexes, comme celle du cardiologue Guy Turcotte, un banc de trois experts est suggéré. Ainsi chaque partie choisirait un expert et un troisième serait nommé conjointement par les deux camps.

«Je ne sais pas si ça aurait changé l'issue du procès, peut-être, mais il y aurait eu certainement moins de méfiance dans le public», a dit la Dre Igartua.

«De mon point de vue, je n'ai pas encore compris [l'affaire Turcotte]. Si on est obligé de faire un deuxième procès alors que déjà trois psychiatres ont témoigné, c'est clair qu'il faut se remettre en question», a ajouté le psychiatre Martin Tremblay, aussi présent à la conférence de presse.

Comme il en existe déjà en Ontario et en Angleterre, l'Association suggère aussi l'instauration d'une Déclaration de l'expert jointe au rapport d'expertise, qui insisterait sur son objectivité et son indépendance.

Avant de faire cette sortie publique, l'Association a sondé ses membres. Résultat: même si les médecins psychiatres affirment que l'expertise est actuellement de qualité, ils sont majoritairement en faveur d'un resserrement des règles.

«Il y a une iniquité dans le système de justice. Actuellement, et comme nos patients sont des gens fragiles qui n'ont pas la même voix que d'autres groupes de pression, on trouvait important d'être leur porte-parole», a dit pour sa part la psychiatre Suzie L. Lévesque.

Les psychiatres voudraient qu'une banque d'experts reconnus soit mise en place par le Collège des médecins, pour que le tribunal et les parties puissent y choisir des experts.

Les psychiatres veulent aussi mettre fin aux expertises «silencieuses». À l'heure actuelle, les procureurs peuvent demander à plusieurs experts une opinion préalable et ensuite décider de confier le mandat à celui qui accrédite leur thèse. Ces opinions préalables devraient être divulguées au tribunal, selon les psychiatres.

Ces recommandations ont été acheminées au ministre de la Justice et au Collège des médecins, qui doit publier un rapport sur la question à l'automne prochain.