La baisse du nombre d'anglophones bilingues au pays inquiète le commissaire aux langues officielles Graham Fraser, qui a rendu public jeudi son rapport annuel.

Cette situation pourrait constituer un obstacle à certaines améliorations qu'il propose, comme exiger des juges à la Cour suprême du Canada qu'ils soient bilingues.

Pour l'instant, le gouvernement Harper refuse d'imposer ce critère, jugeant que cela va pénaliser d'excellents candidats qui sont unilingues et qui ne pourront ainsi pas accéder au plus haut tribunal du pays.

«Si chez les jeunes le bassin (de gens bilingues) commence à décroître, ça va être plus dur de trouver des juges dans 30 ans», fait valoir M. Fraser.

Et s'il ne croit pas que La loi sur les langues officielles avait pour objectif que tous les Canadiens parlent aussi bien le français que l'anglais, il estime qu'«il faut une masse critique de gens bilingues pour que la politique fonctionne».

Le déclin d'anglophones bilingues n'est «pas énorme», dit M. Fraser, mais le fait qu'il n'y ait pas de croissance de bilinguisme, «ça me préoccupe».

Un des facteurs de cette baisse est probablement le fait qu'il est facile pour les anglophones de se trouver un boulot uniquement en anglais, a confié le commissaire en entrevue. Et le fait qu'aucune province de l'Ouest canadien n'impose le français à l'école, quel que soit le niveau scolaire, joue aussi un rôle, selon lui.

Par contre, le nombre de francophones bilingues augmente, ce qui réjouit le commissaire. Le pays compte ainsi un demi-million de plus de citoyens qui maîtrisent les deux langues officielles qu'il y a 10 ans.

Il ne croit toutefois pas que le bilinguisme chez les francophones nuit à la vitalité du français. «Ce n'est pas parce que tu apprends à nager que tu oublies comment marcher», illustre-t-il.

Quant à la Cour suprême, le commissaire aux langues officielles déplore n'avoir pas encore su convaincre le gouvernement fédéral de l'importance d'y avoir des juges bilingues. Il y voit même «un échec évident».

Car en rendant son rapport annuel sur l'état du français et de l'anglais au pays, M. Fraser s'inquiète, encore une fois, de l'accès à la justice dans les deux langues officielles.

Il note un manque de collaboration entre le fédéral et les provinces, ce qui empêche aussi d'assurer un nombre suffisant de juges bilingues dans les cours supérieures du pays.

Le commissaire est intervenu à plusieurs reprises pour faire valoir l'importance du bilinguisme de la magistrature, notamment au sein de la Cour suprême.

«Je suis surpris de savoir que l'argument invoqué pour réfuter l'idée est le même que celui utilisé en 1969 contre l'adoption de la Loi sur les langues officielles, c'est-à-dire que les Canadiens de l'Ouest seront exclus de la magistrature», a déclaré M. Fraser.

«Le changement viendra lorsqu'il y aura une volonté de changer la culture», a-t-il insisté.

Le commissaire a aussi dénoncé ce qu'il appelle une «érosion subtile» du bilinguisme dans la fonction publique fédérale en raison de négligence et des conséquences imprévues des compressions budgétaires, une situation qu'il avait déjà mise en lumière.

Il juge toutefois encore difficile de mesurer l'ampleur des conséquences.

Pour les voyageurs, la situation continue d'être frustrante, note M. Fraser. Il leur est toujours difficile d'être servis dans la langue de leur choix dans les aéroports du pays.

«Trop souvent, les gens doivent le demander et trop fréquemment, lorsqu'ils le font, ils se butent à une incompréhension ou ils doivent subir des délais», note Graham Fraser.

Le commissaire a aussi dénoncé l'usage «symbolique du français» lors de discours.

«Trop souvent, les dirigeants du secteur public diront quelques mots en français, puis ils continueront de façon ininterrompue en anglais», déplore-t-il. Il a aussi l'impression que même à Ottawa, les orateurs bilingues semblent hésiter à prendre la parole en français en public.

Le commissaire en profite aussi pour souligner que les changements apportés au recensement et l'abolition du long formulaire ont eu un impact sur la compréhension des populations linguistiques en situation minoritaire et sur leur répartition géographique.

La plupart des plaintes reçues par le Commissariat proviennent de la région d'Ottawa et du Québec.

LA PRESSE CANADIENNE

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser