En raison de la controverse soulevée par la nomination du juge Marc Nadon à la Cour suprême, le gouvernement conservateur prend les grands moyens: il a finalement décidé mardi de demander au plus haut tribunal du pays de donner son opinion sur la validité de cette nomination.

Et tant qu'à y être, le gouvernement apporte aussi des modifications - qu'il appelle «clarifications» - à la loi sur la Cour suprême au sujet des critères d'admissibilité des candidats au plus haut tribunal du pays.

L'opposition y voit une opération de rapiéçage après un processus de nomination bâclé.

Le Québécois Marc Nadon est le plus récent juge à avoir été choisi par le gouvernement fédéral pour siéger à la Cour suprême.

Mais ce choix a été remis en question par plusieurs, puis a été formellement contesté devant la Cour fédérale par un avocat de Toronto.

Vu les procédures judiciaires intentées, le juge Nadon s'est temporairement retiré du banc de la Cour suprême, jusqu'à ce que l'affaire soit réglée, ce qui pourrait prendre plusieurs années.

Dans l'intervalle, la Cour est contrainte de siéger à huit juges au lieu de neuf.

Mardi, le ministre de la Justice, Peter MacKay, a fait part de son intention d'effectuer un renvoi à la Cour suprême pour que soient clarifiés les critères de sélection des juges.

«Pour assurer la résolution rapide de ce dossier important et s'assurer que le juge Nadon puisse entrer en fonction», a-t-il précisé dans un communiqué.

La question qui sera soumise à la Cour n'est pas encore connue, mais le ministre a laissé entendre qu'elle viserait directement le juge Nadon.

«J'ai autorisé le dépôt d'un renvoi à la Cour suprême du Canada pour accélérer la contestation de la nomination du juge Nadon», a-t-il déclaré aux Communes, mardi.

Le choix du magistrat a été contesté car celui-ci siégeait jusqu'à tout récemment à la Cour d'appel fédérale et que la majeure partie de son expérience a été acquise au niveau du droit fédéral.

Or, trois places sont réservées pour des juges québécois sur le banc de la Cour suprême. Plusieurs prétendent qu'elles le sont pour qu'il y ait des juges ayant une expérience en droit civil afin que celui-ci soit correctement appliqué. À leur avis, le juge Nadon ne remplit pas ce critère.

Et pour Rocco Galati, l'avocat qui a intenté les procédures contre la nomination du juge, les candidats québécois doivent soit provenir de la Cour supérieure ou de la Cour d'appel du Québec, ou encore être avocats membres du Barreau du Québec depuis plus de 10 ans. Toutefois, selon Me Galati, si un candidat se qualifie parce qu'il est avocat depuis au moins 10 ans, il doit être un avocat - et non pas un juge qui siège sur une autre cour que celles visées.

Pour le gouvernement, un juge de la Cour fédérale se qualifie, s'il est membre du Barreau du Québec depuis 10 ans.

«Les Québécois ont droit à un juge qui maîtrise le droit civil», a critiqué mardi le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair.

«L'incompétence et l'incurie du ministre MacKay et du gouvernement conservateur est la raison première pour laquelle ils doivent, un, tenter rétroactivement de modifier une loi, deux, renvoyer à la Cour suprême», a-t-il ajouté.

M. Mulcair a qualifié les tentatives du gouvernement pour régler le problème de «sparadrap rétroactif législatif».

Car le même jour, le gouvernement a aussi pris la petite porte d'en arrière pour arranger à son goût le processus de sélection des juges.

Il s'est servi d'un volumineux projet de loi budgétaire pour inclure des «modifications à portée déclaratoire» pour changer la loi sur la Cour suprême. Complètement enterrées dans le projet de loi de 308 pages, les modifications proposées se retrouvent à la toute fin.

L'opposition a sursauté, dénonçant leur inclusion dans un projet de loi budgétaire, alors qu'elles n'ont rien à voir avec le budget.

«C'est la mécanique du gouvernement», a laconiquement justifié le ministre des Finances, Jim Flaherty, lorsque questionné à ce sujet.

Le ministre MacKay refuse de parler «d'amendements à la loi». Pour lui, ce sont plutôt des «dispositions déclaratoires qui serviront de clarifications», pour «refléter ce que nous croyons être l'interprétation adéquate de la loi».

Si adopté, l'article visant les juges du Québec se lirait ainsi: «il demeure entendu que les juges peuvent être choisis parmi les personnes qui ont autrefois été inscrites comme avocat pendant au moins dix ans au Barreau de la province de Québec». Ceci permettrait de contourner le problème soulevé dans les procédures de Me Galati.

Le porte-parole du Parti libéral en matière de justice, Irwin Cotler, remet en question tout le processus.

Non seulement la modification ne pourra peut-être pas être rétroactive de façon à s'appliquer au juge Nadon, mais en plus, elle pourrait nécessiter un amendement constitutionnel, a-t-il fait remarquer.