« Un comportement moyenâgeux digne d’un scénario de film. » Un juge n’a pas mâché ses mots pour décrire les crimes « odieux » commis par le copropriétaire d’un bar et ses employés l’an dernier. Pendant 14 heures d’horreur, quatre bourreaux ont torturé un collègue soupçonné d’avoir volé 40 $. Un supplice d’une extrême violence.

Des centaines de coups de poing, de pied, de genou, de coude. Parfois décochés avec des gants de boxe. La lame d’une machette posée sur le bras. Un marteau et des pinces à portée de main. Un doigt sectionné. C’est un miracle que Nick* ait survécu à cette séance de torture machinée par son patron, Silvio Delcous, en décembre 2022.

L’homme de 40 ans, copropriétaire de trois bars branchés de Montréal, Le Petit Mexico, Le Petit Moscou et Le Petit Cuba, a été condamné à six ans et neuf mois de pénitencier en raison de son rôle de « leader ». Silvio Delcous donnait en effet les ordres à ses sbires, Saad Bennaceur, 21 ans, Benjamin Jer Mi Chu, 25 ans, et Charles-Antoine Lalonde, 24 ans.

Les deux premiers ont écopé de cinq ans de détention, contre quatre ans et demi pour le troisième. Les quatre complices ont plaidé coupable à des chefs de voies de fait graves, de séquestration et d’extorsion, le 24 mai dernier, au palais de justice de Montréal.

Torturé dans un sous-sol

Le calvaire de Nick, un employé du bar Le Petit Moscou, commence le soir du 15 décembre 2022, alors qu’il passe la soirée au Petit Mexico. Son patron, Sylvio Delcous, l’accuse d’avoir volé du pourboire. Nick avoue avoir pris 40 $, mais soutient les avoir remis.

Comme Nick refuse de suivre son patron pour « discuter », celui-ci débarque à 23 h 30 avec deux employés, le portier Saad Bennaceur et le gérant de bar Benjamin Jer Mi Chu. Les truands amènent alors Nick dans le sous-sol d’un bar qui n’est pas encore ouvert, à côté du Petit Mexico, rue Saint-Denis.

Sous les ordres de leur patron, Bennaceur et Chu distribuent des coups de poing et des coups de pied à Nick toutes les 10 minutes, alors que Delcous lui assène des claques au visage. Tout ça parce que Nick refuse d’admettre avoir volé la petite caisse.

Quelques heures plus tard, les bourreaux se déplacent au Petit Moscou, non loin. Entouré par ses assaillants, Nick se fait pousser s’il ne marche pas assez vite. Le complice Charles-Antoine Lalonde, un autre portier, est sur place.

Delcous somme Nick de lui donner 5000 $. Il lance une minuterie de 10 minutes. C’est le temps dont dispose Nick pour trouver cette somme à l’aide de son cellulaire. Chaque fois que l’alarme sonne, il est battu par les trois fiers-à-bras. Le nouveau venu, Lalonde, frappe particulièrement fort.

Vers 4 h 41, Delcous se lève, prend une « brocheuse » et la montre à sa victime. Il dépose d’autres objets devant Nick, dont un marteau et des pinces. Les coups s’accumulent. Par dizaines. Puis par centaines. Et Nick ne riposte jamais. Une fois, il se lève de sa chaise, mais est aussitôt projeté au sol et corrigé. Le leader Delcous lève finalement la main pour faire cesser l’agression.

Vers 6 h, Benjamin Jer Mi Chu part et ne reviendra plus. Une demi-heure plus tard, les bourreaux restants demandent une quasi-rançon à la mère de Nick. Celle-ci reçoit un message de son fils qui lui réclame 2200 $. Il a de la difficulté à respirer. Puis, un homme inconnu dit vouloir faire du mal à son fils pour une dette de jeu. Elle entend son fils hurler de douleur.

Le supplice de Nick est encore loin d’être terminé. Delcous le menace avec un marteau, une grosse brocheuse et des pinces et le frappe avec certains de ces objets. Dans une effroyable séance de torture, Delcous s’empare d’une machette et pose la lame sur le poignet gauche de la victime.

Plus tard, Delcous prend un couteau et appuie la lame sur la gorge de Nick. Il est alors environ 10 h 30. À ce moment, Nick a réussi à verser une certaine somme à son bourreau grâce à l’aide de son entourage.

Mais son tourment se poursuit : vers 12 h 30, Bennaceur et Lalonde mettent des gants de boxe pour frapper leur captif, qui perd connaissance. Delcous le frappe au sternum pour le réveiller.

Puis, à 14 h 30, c’est la délivrance. Ses bourreaux quittent les lieux et abandonnent Nick près du bar. Une passante contacte les secours en le voyant. Nick est mal en point. Ses blessures sont si graves que sa vie est en danger. Il restera une semaine à l’hôpital.

« Particulièrement troublant »

Les conséquences de cette nuit d’enfer sur Nick sont indescriptibles : choc post-traumatique, cauchemars, troubles d’équilibre, pertes de mémoire. Il devra également subir une opération en raison d’un doigt sectionné. « C’est particulièrement troublant », lâche le juge Jean-Jacques Gagné à la lecture de la déclaration de Nick.

« C’est terrible comme conséquences. C’est terrible », a renchéri le juge.

Selon MIsabelle Teolis, l’une des avocates de la défense, l’affaire ne serait pas seulement liée au vol de 40 $, mais également à la vente de stupéfiants.

Les peines suggérées se situent dans le « bas de la fourchette » de peine en semblable matière, convient le juge Jean-Jacques Gagné, qui souligne toutefois la reconnaissance de culpabilité très rapide des accusés, ainsi que l’absence d’antécédent pour trois d’entre eux. Seul Benjamin Jer Mi Chu détenait un antécédent, une peine d’un an de prison en 2020 pour fraude et possession d’une arme à feu.

*Prénom fictif