(Québec) Les hostilités sont relancées entre le ministre de la Justice et la juge en chef de la Cour du Québec. Simon Jolin-Barrette a refusé d’entendre en commission parlementaire Lucie Rondeau au sujet de son projet de loi visant à mettre en œuvre leur entente, mais aussi, et c’est ce qui a rompu leur trêve, à encadrer le financement du Conseil de la magistrature qu’elle préside.

La juge Rondeau s’oppose fermement à l’intervention de Québec au sujet du Conseil de la magistrature, une surprise du projet de loi 26 sur les tribunaux judiciaires.

Le Parti libéral du Québec et Québec solidaire ont demandé au gouvernement d’inclure la juge Rondeau dans la courte liste d’invités aux consultations sur le projet de loi 26 en commission parlementaire. Or, le ministre de la Justice a refusé.

D’autres groupes ont été invités à la dernière minute cette semaine, avec un court préavis. Les consultations ont eu lieu jeudi, en après-midi et en soirée.

Dans un courriel que La Presse a obtenu, le Conseil de la magistrature a demandé jeudi matin aux membres de la commission parlementaire à être entendue, constatant l’absence d’invitation.

« Le Conseil de la magistrature a constaté que des consultations sont prévues en fin de journée à propos de projet de loi 26. Nous avons aussi été informés que l’Association du Barreau canadien a dû décliner l’invitation pour la séance de ce soir, vu le court délai (moins de 24 heures) de la convocation. Je vous serais reconnaissante de porter à l’attention des membres de la Commission la disponibilité de la présidente du Conseil de la magistrature, Mme Lucie Rondeau, pour être entendue ce soir, à l’heure qui leur conviendra, dans le cadre de leurs travaux sur le projet de loi 26 », écrit l’avocate Annie-Claude Bergeron, secrétaire du Conseil.

Le ministre a refusé de répondre à cet appel.

La situation à laquelle on assiste est rare : on parle ici de tiraillements entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette

Le cabinet de Simon Jolin-Barrette estime que le refus d’entendre la juge Rondeau s’est fait dans les règles et qu’elle peut s’exprimer autrement. « Les groupes qui ne sont pas en commission peuvent tout de même faire parvenir leur mémoire afin de faire valoir leurs points et que ceux-ci soient analysés », affirme-t-il. Le Conseil de la magistrature a fait parvenir un mémoire à la commission.

Lors d’une mêlée de presse de quelques secondes, le ministre a tenté d’esquiver le sujet. Il a plaidé qu’il n’a « pas exclu personne », qu’il a respecté « les règles », car la juge ne faisait pas partie de la liste des participants adoptée par la commission parlementaire. Rappelons que la liste des invités pour des consultations fait l’objet de négociations entre les partis, mais que le gouvernement a le dernier mot, car il est majoritaire. Dans le cas présent, le gouvernement a refusé la présence de la juge Rondeau et celle-ci n’a donc pas pu se retrouver dans la liste adoptée par la commission malgré la demande des autres partis.

Le Parti libéral du Québec et Québec solidaire s’étonnent que le gouvernement refuse d’inviter la juge Rondeau dans la mesure où elle est la principale concernée par le projet de loi 26.

Simon Jolin-Barrette a déposé ce texte législatif le 9 mai. Le projet de loi ratisse plus large que l’entente conclue en avril entre le ministre et la juge en chef pour régler le long conflit sur l’horaire des juges. En plus d’ajouter 14 postes de juge à la Chambre criminelle et pénale, le projet de loi vise à « revoir le mode de financement du Conseil de la magistrature ainsi que l’encadrement de ses prévisions budgétaires ». Cette disposition inattendue a mis fin à la période de paix qui venait à peine de commencer.

Si la loi est adoptée telle quelle, le Conseil ne sera plus financé « à même le fonds consolidé du revenu », mais plutôt par « les crédits votés annuellement à cette fin par l’Assemblée nationale ». Un changement majeur, puisque le financement du Conseil pourrait ainsi être limité par les élus.

Québec cherche à encadrer le financement du Conseil de la magistrature depuis la révélation à la fin du mois d’avril que le Conseil a dépassé de plus de 40 % son budget dans la dernière année. Simon Jolin-Barrette avait qualifié d’« extrêmement préoccupant » ce dépassement d’un million de dollars. Il laissait entendre que le Conseil a outrepassé son mandat.

Le Conseil a dépassé ses prévisions budgétaires en raison de sa participation à de nombreuses contestations judiciaires, dont celle portant sur le bilinguisme des juges et la réforme de la loi 101 (projet de loi 96). Les dépenses ont atteint près de 4,6 millions de dollars, alors que le budget s’élève à 3,2 millions.

Dans un rare communiqué, la juge Rondeau avait déclaré que l’intervention du ministre avec son projet de loi 26 est une attaque contre l’indépendance judiciaire.

Avec Fanny Lévesque