En roulant à contresens dans une courbe, Éric Rondeau voulait éviter des canards sur la route. Mais sa manœuvre d’une « témérité extraordinaire » a tué un jeune motocycliste. Le chauffard a été condamné lundi à huit mois de prison et à une interdiction de conduite de trois ans.

« Ici, le geste de Rondeau relève plus d’une insouciance ou d’une témérité grossière blâmable que d’une volonté de s’inscrire en faux contre des règles sociales. Évidemment, la société doit sanctionner de tels comportements, mais ceux-ci ne requièrent pas le même degré d’opprobre social que d’un geste foncièrement amoral », a conclu le juge Marc-André Blanchard, au palais de justice de Joliette.

Le juge de la Cour supérieure a ainsi retenu la période de détention suggérée par la Couronne, rejetant du coup la suggestion de prison à la maison (sursis) de la défense. Éric Rondeau, 48 ans, a été reconnu coupable par un jury de conduite dangereuse causant la mort, en janvier dernier. Il a fait appel du verdict.

Éric Rondeau n’est pas resté détenu très longtemps, puisque la Cour d’appel l’a remis en liberté sous conditions en après-midi, et ce, jusqu’à la fin des procédures d’appel.

Le destin de Félix-Antoine Gagné a basculé, le 22 juillet 2019. Lors de cette belle journée ensoleillée, le motocycliste de 19 ans circulait sur la route 345, près de Joliette, lorsqu’une camionnette Ford F-150 est apparue à contresens dans une courbe. Le jeune homme n’a eu aucune chance. Il est mort sur le coup, laissant sa famille dans un douloureux deuil.

Au volant de la camionnette, Éric Rondeau tentait alors d’éviter une famille de canards sur la chaussée. Il s’était d’abord immobilisé pendant sept secondes pour laisser les oiseaux traverser. Puis, perdant visiblement patience, l’accusé a braqué sa camionnette à contresens, se retrouvant entièrement dans la voie inverse. Il roulait alors à 18 km/h.

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Le convoi d’Éric Rondeau mesurait plus de 15 mètres. Son véhicule bloquait pratiquement toute la voie en sens inverse.

Un comportement « téméraire et irréfléchi » et une manœuvre d’une « témérité extraordinaire », selon le juge. « [Éric] Rondeau ne circule pas à une vitesse folle, n’est pas sous l’effet d’une drogue ou de l’alcool. Il s’agit d’une personne sensée qui commet une grave erreur de jugement dans des circonstances particulières », a analysé le juge Blanchard.

Comme facteur aggravant, le juge Blanchard n’en retient qu’un seul : le fait qu’Éric Rondeau conduisait un « gros » véhicule. Ce terme simple faisait l’objet d’un débat sémantique entre les parties. Or, le juge conclut que le véhicule de Rondeau, qui mesurait 15,7 mètres en raison de la remorque de ponton, constitue « en toute logique un gros véhicule routier ».

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Félix-Antoine Gagné, la victime

Le magistrat convient que l’on peut « s’interroger sur le bénéfice social d’une telle peine » imposée à un homme au profil exemplaire comme Éric Rondeau. Cependant, il ne faut pas « oublier » l’objectif de dénonciation de ce crime, maintenant passible de la prison à vie. Également, les conséquences sont dramatiques pour la famille et pour la société, rappelle le juge, qui souligne son « approche nuancée » dans la détermination de la peine.

Le procureur de la Couronne, MAlexandre Dubois, s’est dit « satisfait » par le jugement. « La décision rendue par le juge Blanchard est une décision fouillée, minutieuse, qui a pris en compte toutes les facettes du dossier de M. Rondeau. Le juge expose assez clairement comment M. Rondeau, qui est un individu qui n’a pas d’antécédent, mais qui a commis un crime, devait recevoir une peine d’incarcération de huit mois », a-t-il commenté.

En mêlée de presse, l’avocat de la défense, MRichard Dubé, s’est dit « extrêmement surpris et déçu » par la décision. « Le juge expose une personne qui est tout à fait exempte de mauvaise intention, un bon citoyen, et dans des circonstances très spéciales où l’accident est prédominant. Le huit mois d’emprisonnement me jette par terre, je n’en reviens pas. Nous sommes en appel du verdict et de la sentence », a déclaré MDubé aux journalistes.