Au moins cinq immeubles et propriétés d’une valeur totale de 15 millions de dollars, appartenant à des individus soupçonnés d’être impliqués dans un réseau de production illégale de cannabis à grande échelle, ont été ou seront bloqués par les autorités à la suite d’une importante enquête policière, a appris La Presse.

Ce qu’il faut savoir

  • L’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) et les corps de police de la province ont dénoncé l’automne dernier le détournement par le crime organisé des certificats d’autorisation de production de cannabis à des fins médicales et personnelles délivrés par Santé Canada.
  • Le programme ACCES Cannabis chapeauté par le SPVM est un programme financé par Québec pour lutter contre le marché noir de la marijuana dans la province.

Six suspects font l’objet de mandats visés : ils auraient utilisé au moins 22 certificats d’autorisation de production de cannabis à des fins médicales et personnelles délivrés par Santé Canada et s’en seraient servis pour cultiver de la marijuana à grande échelle dans le but de l’exporter vers les États-Unis.

L’enquête baptisée Opportunité et menée par les limiers du programme ACCES Cannabis a débuté au printemps 2021, à la suite d’une demande d’assistance de la Drug Enforcement Administration (DEA), la police antidrogue des États-Unis.

L’un des suspects a ensuite effectué deux échanges d’argent de type Hawala totalisant plus de 450 000 $ avec un homme dont il ignorait qu’il était un agent double du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Une transaction de type Hawala est un échange d’argent entre individus ou organisations criminelles, d’une destination à une autre, sans que les sommes aient à franchir des contrôles douaniers.

Des permis devenus la norme

En suivant ce premier suspect, les enquêteurs ont ciblé un entrepôt de la rue Saint-Patrick, dans le sud-ouest de Montréal, où des producteurs illégaux auraient utilisé trois adresses différentes et huit autorisations de Santé Canada.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le premier suspect identifié dans l’enquête a mené les policiers à cet immeuble commercial de la rue Saint-Patrick, dans le sud-ouest de Montréal.

Le propriétaire de l’immeuble et son fils, qui font l’objet d’accusations, auraient créé des sociétés par l’entremise desquelles ils auraient loué des locaux aux « jardiniers » illégaux.

L’enquête a ensuite mené les policiers vers une ferme du rang Lepage, à Sainte-Anne-des-Plaines, où ils ont notamment saisi 5700 plants de marijuana et une roulotte dans laquelle vivaient deux femmes affectées à la culture.

  • La roulotte de la ferme de Sainte-Anne-des-Plaines où vivaient deux des suspectes et dans laquelle les policiers ont retrouvé 22 000 $. Le véhicule récréatif a été saisi par les autorités.

    PHOTO TIRÉE D’UN DOCUMENT JUDICIAIRE

    La roulotte de la ferme de Sainte-Anne-des-Plaines où vivaient deux des suspectes et dans laquelle les policiers ont retrouvé 22 000 $. Le véhicule récréatif a été saisi par les autorités.

  • Les policiers ont filé et filmé des suspects transportant des sacs contenant des livres de cannabis prêtes pour la vente.

    PHOTO TIRÉE D’UN DOCUMENT JUDICIAIRE

    Les policiers ont filé et filmé des suspects transportant des sacs contenant des livres de cannabis prêtes pour la vente.

1/2
  •  
  •  

Dans les bâtiments de la ferme étaient affichées une dizaine d’autorisations de Santé Canada, dont certaines libellées à des prête-noms qui ignoraient où se trouvait leur permis.

« Aujourd’hui, lorsque nous tombons sur une plantation où il n’y a pas de permis de Santé Canada, on est surpris. C’est l’exception, maintenant, les plantations illégales sans certificat », affirme l’enquêteur principal, qui nous a demandé de ne pas écrire son nom, vraisemblablement pour des raisons opérationnelles.

Des milliers de dollars en installations

Dans l’entrepôt de la rue Saint-Patrick (évalué à environ 6 millions) se trouvaient 22 climatiseurs, des lampes et d’autres équipements servant à la production, et les sommes payées en électricité totalisaient des dizaines de milliers de dollars pour une année.

Sur la propriété du rang Lepage, à Sainte-Anne-des-Plaines, la production illégale de cannabis était effectuée à une échelle industrielle, dans trois hangars, et les cultures étaient séparées selon des stades de croissance.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La ferme du rang Lepage, à Sainte-Anne-des-Plaines, où les enquêteurs d’ACCES Cannabis ont saisi plus de 5000 plants de marijuana.

Un électricien mandaté par la police a évalué à 75 000 $ les installations électriques de chacun des hangars, sans compter les climatiseurs, lampes et ventilateurs, entre autres.

Dans un autre immeuble de la rue Charland à Montréal où du cannabis a été cultivé, deux des suspects qui y habitaient déboursaient annuellement 28 000 $ en dépenses courantes (électricité, taxes, hypothèque) alors que leurs revenus annuels déclarés combinés totalisaient moins de 36 000 $.

Les accusations

Outre le père et le fils impliqués dans les sociétés propriétaires et locataires de l’immeuble de la rue Saint-Patrick, les quatre autres accusés sont des individus qui auraient cultivé les plants de marijuana.

Qiao Lin, 41 ans, Fei Chen, 41 ans, Minh Tan Tran, 52 ans, et Van Hong Pham, 52 ans, tous de Montréal, sont accusés de culture de cannabis, de possession de cannabis dans un but de vente et de possession de cannabis dans un but de distribution.

Esmaelle Torabi, 59 ans, et son fils Alexander, 26 ans, tous deux de Montréal, font face à des chefs de complot et de culture de cannabis. Les six suspects comparaîtront en juin.

PHOTO TIRÉE D’UN DOCUMENT JUDICIAIRE

Des cocottes de marijuana trouvées par les policiers durant l’enquête Opportunité

Quant aux immeubles, ils sont actuellement bloqués. Le procureur général du Québec s’adressera au tribunal pour les saisir et les confisquer au profit de l’État.

« Le projet Opportunité a permis de saisir et bloquer des profits importants provenant d’activités criminelles. En termes de valeur des actifs saisis, Opportunité représente l’une de nos plus importantes enquêtes à ce jour. Je suis très fière des résultats obtenus par notre équipe et nous allons poursuivre nos efforts pour priver les criminels des fruits de leurs activités illégales », a conclu Nathalie Morin, commandante de la section ACCES et des produits de la criminalité du SPVM.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

L’enquête Opportunité en chiffres

15 millions : Valeur des actifs bloqués

24 466 $ : Somme d’argent (canadien et américain) saisie

172 800 $ : Valeur de l’équipement de production de cannabis

6009 : Nombre de plants de cannabis

1 500 000 $ : Valeur marchande des plants de cannabis

523,88 lb : Poids du cannabis en vrac

400 000 $ : Valeur marchande du cannabis en vrac

21 millions : Valeur de revente (sur le marché légal et des montants importants de taxes non perçues) du cannabis saisi

Source : Service de police de la Ville de Montréal