L’identité d’une famille d’origine roumaine a été rendue publique, après la découverte de plusieurs corps de migrants dans les eaux du Saint-Laurent, dans la réserve mohawk d’Akwesasne.

(Réserve mohawk d’Akwesasne) « À l’aide ! » « À l’aide ! » : Danielle Oakes n’oubliera jamais ces cris, qu’elle assure avoir entendus au milieu de la nuit de mercredi à jeudi sur le fleuve face à sa demeure. Et au surlendemain du drame, elle se demande pourquoi son appel aux autorités n’a pas été pris plus au sérieux.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, deux policiers du Service de police mohawk d’Akwesasne se seraient rendus chez Danielle Oakes en raison d’appels à l’aide entendus du fleuve, a affirmé celle-ci à La Presse. Or, les recherches n’ont débuté que le lendemain.

Le Service de police mohawk d’Akwesasne n’avait pas répondu à nos demandes d’information au moment de publier.

Résidante du secteur Snye d’Akwesasne, cette communauté mohawk qui chevauche le Québec, l’Ontario et l’État de New York, Danielle Oakes habite au-dessus du Tackle Box, petit commerce adjacent à une marina.

Devant son commerce, le Saint-Laurent, interrompu à droite par l’île Jaune et, tout droit, par l’île Saint-Régis. C’est dans ces secteurs qu’ont été retrouvés jeudi et vendredi les corps de huit migrants, dont deux bambins.

L’identité de quatre des victimes a été rendue publique samedi. Il s’agit de Florin Iordache et de Cristina Zenaida Iordache, tous deux âgés de 28 ans et originaires de Roumanie, et de leurs deux enfants de 2 ans et 1 an, en possession de passeports canadiens.

Leurs compagnons d’infortune seraient des ressortissants de l’Inde, mais leur identité n’a pas été dévoilée.

Les deux familles étaient parties de l’Ontario et tentaient de se rendre de manière irrégulière aux États-Unis, selon l’hypothèse de la police locale.

​​Les autorités affirment que la géographie unique du territoire en fait un endroit apprécié des passeurs. La police a fait 48 interceptions distinctes impliquant 80 personnes essayant d’entrer illégalement aux États-Unis depuis janvier.

Des cris dans la nuit

Danielle Oakes se préparait à aller se coucher mercredi soir, dans une nuit venteuse et de tempête, quand elle a entrouvert sa fenêtre pour souhaiter une bonne nuit au « grand fleuve », comme elle le fait tous les soirs, raconte-t-elle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Danielle Oakes assure avoir entendu des cris au milieu de la nuit de mercredi à jeudi sur le fleuve face à sa demeure.

« C’est à ce moment que je les ai entendus : des gens qui hurlaient “ À l’aide ! À l’aide ! » », ajoute-t-elle, en pointant droit devant, en direction de l’île Saint-Régis et du bras du fleuve menant à l’île Cornwall, au nord-ouest de son domicile. Les sons étaient assourdis par la tempête, mais bien distincts, assure-t-elle.

Ces cris l’ont tellement secouée qu’elle s’est effondrée sur le plancher, avant de contacter les autorités. « Je les ai appelés en disant qu’il y avait des gens sur le fleuve, qui hurlaient à l’aide », se souvient la quinquagénaire.

Puis elle est allée chercher son fils, Tyson Oakes, qui vit juste à côté. Ensemble, debout sur la terrasse face au fleuve, ils ont tenté d’entrer en contact avec les gens en utilisant un sifflet de secours et une lanterne.

« La météo était vraiment mauvaise, donc on ne pouvait pas partir [à leur rescousse] », explique Tyson Oakes, aussi rencontré par La Presse sur place. Lui-même n’a pas entendu de cris. « Je pense que c’était trop tard, quand je suis arrivé », a-t-il déploré.

À noter que la famille n’est pas liée de près à Casey Oakes, l’homme qui est disparu mercredi soir. « C’est un cousin éloigné », a souligné Danielle Oakes.

Pas prise au sérieux

Des agents du service de police d’Akwesasne se sont rendus rapidement chez Mme Oakes après son appel, a-t-elle expliqué. Mais elle estime ne pas avoir été prise au sérieux.

« Un policier s’est rendu au magasin, et l’autre sur le bord de l’eau, et comme ils n’ont rien vu, ils sont partis après quelques minutes en lui disant de rappeler, si elle entendait autre chose. Mme Oakes a senti qu’ils étaient condescendants et qu’ils ne la croyaient pas », a dit MKeith Gordon, joint au téléphone. Cet avocat qui travaille à Akwesasne a été contacté par Mme Oakes vendredi. Son témoignage auprès de MGordon concorde avec celui qu’elle a livré à La Presse.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le Service de police mohawk d’Akwesasne patrouillait encore les lieux samedi.

Les autorités ont annoncé n’avoir commencé les recherches que jeudi et n’ont pas parlé de cet appel dans leurs déclarations publiques.

Vendredi, Danielle Oakes a publié son histoire sur Facebook, parce qu’elle estime que « les recherches auraient dû débuter immédiatement ».

Trois autres membres de la communauté lui ont alors écrit sur Facebook pour dire qu’ils avaient eux aussi entendu des cris sur le fleuve cette nuit-là, et ce, à plusieurs heures d’intervalle.

Au moins une autre personne aurait contacté les autorités, selon MGordon.

« Je me demande : pourquoi ? Pourquoi les protocoles d’urgence n’ont-ils pas été suivis ? Est-ce que ces gens auraient pu être sauvés, ces bébés ? », se demande-t-elle. « C’est affreux, parce que peu importe la nationalité, tout le monde mérite le même respect. »

Une communauté sous le choc

Danielle Oakes est loin d’être la seule à être bouleversée par la tragédie, a pu constater La Presse samedi en rencontrant plusieurs résidants.

« C’est vraiment triste, ça brise le cœur et c’est très difficile à absorber », s’est désolée Barbara Oakes Cook, rencontrée dans le dépanneur de Snye, le secteur d’Akwesasne où ont été retrouvés les corps.

« Nos eaux [le fleuve Saint-Laurent] sont reliées partout, et nous les utilisons surtout pour la survie, avec la pêche, explique-t-elle. Et là, c’est quelque chose qui ne devrait jamais arriver. Ces gens ont perdu leur vie dans l’espoir d’une vie meilleure dans un autre pays. »

« Je suis en colère et triste », s’est aussi désolée Peggy Lazore, résidante de l’île Cornwall. C’est à la pointe est de cette île que Casey Oakes, cet homme de 30 ans originaire de la communauté toujours porté disparu, a été vu la dernière fois. « C’est particulièrement triste pour les bébés », ajoute-t-elle.

Les recherches se poursuivent

Les recherches se sont poursuivies samedi sur le Saint-Laurent, notamment pour retrouver Casey Oakes. La Sûreté du Québec est venue en assistance à la police locale avec des plongeurs et, en fin d’après-midi, un hélicoptère.

La police mohawk n’a établi aucun lien direct jusqu’à présent entre la mort des huit migrants et la disparition de M. Oakes, qui a été vu pour la dernière fois mercredi mettant une embarcation à l’eau à l’est de l’île de Cornwall. L’embarcation, qui lui appartenait, a été retrouvée renversée le lendemain à côté des corps des migrants.