(Montréal) Le corps d’une cinquième victime a été extirpé samedi en fin d’après-midi des décombres de l’immeuble du Vieux-Montréal détruit par un incendie, il y a plus d’une semaine.

Les membres du groupe de sauvetage technique du Service de sécurité incendie de Montréal ont fait cette découverte alors qu’ils poursuivent leurs recherches à l’intérieur de l’immeuble en fonction des esquisses de l’immeuble et des informations recueillies par les policiers, a précisé l’agente Véronique Dubuc du Service de police de la Ville de Montréal.

Le corps a été confié au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale pour procéder à l’identification de la personne.

Quatre corps avaient déjà été retrouvés plus tôt cette semaine. Deux personnes manquent encore à l’appel.

Des témoignages d’anciens locataires et de sinistrés de l’immeuble du Vieux-Montréal détruit par l’incendie du 16 mars soulèvent des questions quant à la sûreté des lieux.

La police et les pompiers disent qu’il est encore trop tôt pour déterminer les causes de l’incendie. Toutefois, des témoins ont parlé de détecteurs de fumée défectueux et d’une absence de sorties de secours.

Ce n’est pas la première fois que le propriétaire, Emile-Haim Benamor, a maille à partir avec ses locataires.

En 2012, devant la Régie du logement (aujourd’hui Tribunal administratif du logement), il invoquait « des risques de surcharge électrique » créés par un locataire dans une demande de résiliation de bail contre celui-ci.

M. Benamor avait affirmé que le locataire en question avait « modifié ou ajouté » des systèmes électriques et surchargé les circuits de l’immeuble.

« Le locateur insiste pour dire que dans l’état actuel des choses, l’immeuble n’est pas rentable, il est incapable d’avoir accès au logement, plus encore aux divers appareils, qu’il y a risque d’incendie et il se dit surveillé par les assurances d’autant plus qu’il s’agit d’un immeuble historique », indique la décision du tribunal.

Le propriétaire a également appelé un témoin de la compagnie d’assurances Lloyd’s, qui a indiqué que l’unité présentait des problèmes de sécurité. Dans un affidavit inclus dans la décision du tribunal, Michel Frigon a affirmé que l’unité n’était pas à l’origine destinée à être un appartement, mais plutôt une zone d’entreposage. M. Frigon a noté que l’accès à l’unité était nécessaire pour effectuer l’entretien des systèmes de chauffage et d’électricité du bâtiment.

« La douche attenante à l’entrée électrique du logis présente un danger réel d’électrocution », a-t-il ajouté, précisant qu’il faudrait probablement trouver un nouvel assureur si les problèmes n’étaient pas réglés.

Mais dans sa décision écrite, la juge administrative Jocelyne Gascon a conclu qu’il y avait peu de preuves convaincantes suggérant que le locataire, Piotr Torbicki, était responsable de quelconques problèmes électriques.

« Les divers systèmes électriques, quoiqu’apparus aux yeux du Tribunal non conformes, désuets, la preuve offerte n’a pas établi qu’il s’agit d’ajout récent », a-t-elle écrit. Elle n’a pas formulé d’opinion sur les commentaires de M. Benamor concernant le risque d’incendie.

L’édifice William-Watson-Ogilvie a été construit en 1890 et abritait à l’origine les bureaux d’une entreprise de farine. Il a été progressivement reconverti en habitation entre la fin des années 1960 et les années 1980, un cabinet d’architecture demeurant au rez-de-chaussée. Les registres de propriété municipaux montrent que M. Benamor, un avocat, a acheté le bâtiment en 2009.

Louis-Philippe Lacroix a déclaré que sa fille de 18 ans, Charlie, présumée disparue dans l’incendie, a appelé le 911 deux fois en quelques minutes pour dire qu’elle était incapable de sortir de l’unité dans laquelle elle séjournait, comme il n’y avait ni fenêtre ni sortie de secours.

Une rescapée de l’incendie, Alina Kuzmina, a affirmé que même si l’unité qu’elle avait louée avec son mari au demi-sous-sol était équipée d’alarmes incendie, elle ne se souvient pas les avoir entendues se déclencher. Mme Kuzmina a pu s’échapper du bâtiment en brisant une fenêtre.

Le propriétaire a répondu cette semaine par l’intermédiaire de son avocat, Alexandre Bergevin, affirmant que le système d’alarme avait été remplacé en 2019 et était régulièrement testé. Concernant les sorties de secours, l’avocat a indiqué que l’architecture du bâtiment est complexe.

« Il a toujours été jugé conforme dans le passé », a-t-il dit dans un texto.

Un ancien locataire s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat, disant craindre des représailles de M. Benamor, qui possède plusieurs immeubles dans la ville. Le témoin a affirmé que ces dernières années, les locataires de longue durée ont progressivement quitté les lieux et leurs logements sont devenus des unités louées sur la plateforme Airbnb. Il a également déclaré que certaines unités avaient été subdivisées et qu’au moins une n’avait pas de fenêtre.

Me Bergevin a dit en entrevue vendredi que les locations à court terme dans l’immeuble étaient l’œuvre de locataires et non de son client. Il a soutenu qu’une personne en particulier louait sept logements dans l’immeuble et les inscrivait « illégalement » sur Airbnb. Il a dit que M. Benamor avait intimé à la personne fautive d’arrêter les locations à court terme et qu’ils étaient parvenus à un accord pour qu’elle quitte l’immeuble avant le 1er juillet.

« C’est un vrai fléau, c’est incontrôlable », a déclaré Me Bergevin à propos des locations Airbnb. « Il avait des doutes au sujet de plusieurs locataires dans plusieurs immeubles, mais c’est assez difficile d’avoir la preuve de tout ça. »

L’avocat a reconnu qu’un appartement de l’immeuble « n’avait pas de fenêtre au sens traditionnel du terme », mais qu’il avait un puits de lumière.

Lorsqu’on lui a demandé si les détecteurs de fumée fonctionnaient, il a répondu : « C’est une excellente question. Nous ne savons pas encore. » Mais il a fait valoir qu’il y avait des détecteurs dans tous les appartements, que le détecteur central fonctionnait la veille de l’incendie et qu’il serait surprenant qu’ils tombent tous en panne.

Me Bergevin a déclaré qu’il n’était pas au courant de problèmes électriques spécifiques, y compris ceux soulevés dans la décision de 2012 de la Régie du logement, mais a noté que le bâtiment date du 19e siècle.

« Il est certain que ce n’est pas l’électricité que nous connaissons aujourd’hui », a-t-il noté, ajoutant qu’à certains moments, lorsque des problèmes survenaient, des électriciens qualifiés travaillaient dans le bâtiment.

M. Benamor, a-t-il dit, s’est senti attaqué depuis l’annonce de la mort de personnes dans l’incendie.

« Le tribunal populaire, alors que nous n’avons aucune idée des causes de l’incendie, lui cause beaucoup de détresse psychologique », a-t-il déclaré.

Lisez l’article « L’empire Benamor »