Luiza Ouali a déboursé 1500 $ le 14 février dernier pour faire relâcher sa fille tout juste accusée de voie de fait armée à Toronto. La police soupçonne maintenant cette dernière, Amel Benali, de l’avoir tuée à coups de couteau cinq jours plus tard dans un immeuble résidentiel de Parc-Extension, à Montréal.

Amel Benali, 26 ans, a été accusée le 20 février dernier d’agression armée à l’endroit d’un voisin lors du même évènement.

La veille, les autorités avaient été appelées à se rendre dans un immeuble de la rue de Liège Ouest, dans l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, où ils avaient trouvé un homme blessé au haut du corps à l’arme blanche.

Dans un autre appartement, ils auraient découvert le corps de Luiza Ouali, également poignardée, peut-être peu avant les faits.

Amel Benali n’a pas encore été accusée de ce dernier crime, mais la police la soupçonnerait d’en être l’auteure, selon une source du domaine judiciaire qui n’était pas autorisée à en parler publiquement avant le dépôt formel de nouvelles accusations.

Or, des documents obtenus par La Presse au palais de justice de Toronto indiquent que, quelques jours plus tôt, le 11 février, dans la Ville Reine, Amel Benali aurait poignardé son partenaire en plus de résister au travail d’un agent de la paix.

Elle avait alors été accusée d’agression armée causant des lésions et d’entrave.

Trois jours plus tard, elle avait été mise en liberté en vertu de sérères conditions, à la suite d’une entente entre la Couronne et l’avocat d’Amel Benali, qui travaille pour l’équivalent ontarien de l’aide juridique, ou duty counsel.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le corps sans vie d’une sexagénaire a été retrouvé dans un logement de Parc-Extension dimanche peu de temps après l’intervention des policiers dans un autre logement du même immeuble résidentiel où un homme de 23 ans a été blessé au haut du corps.

Legal Aid Ontario, un des cabinets qui ont représenté Amel Benali lors d’au moins une de ses audiences devant la cour, les 12, 13, 14, 15 et 16 février, a décliné nos questions. « […] Legal Aid Ontario ne peut divulguer aucun renseignement sur les personnes qu’il aide », précise sa directrice des communications, Feroneh Neil.

Parmi ces conditions, la jeune femme ne pouvait posséder d’arme et sa mère avait dû remettre 1500 $ en caution afin de permettre sa libération.

Assignée à résidence

Des voisins peu bavards rencontrés sur place ont rapporté avoir été témoins de querelles dans la famille dans les mois précédant les faits. Il n’a toutefois pas été possible de savoir depuis quand Amel Benali résidait chez sa mère, la famille ayant décliné une demande d’entrevue.

En vertu de ses conditions de libération, Amel Benali ne pouvait sortir de l’appartement de sa mère sauf pour des rendez-vous médicaux, dont il n’a pas été possible de connaître la nature. Mais cette condition laisse entrevoir qu’Amel Benali avait besoin de soins, peut-être en santé mentale, estime l’avocate criminaliste Marie-Hélène Giroux.

La question se pose puisque la jeune femme a été envoyée directement à l’Institut Pinel, à Montréal, après son arrestation le 19 février dernier.

Elle retournera en cour, à Montréal, le 22 mars prochain pour l’enquête sur sa mise en liberté, au lendemain de sa comparution par vidéo au palais de justice de Toronto pour répondre de l’agression armée de son partenaire.

Contacté par La Presse, l’avocat au Québec d’Amel Benali a indiqué qu’il n’avait pas été informé de cette cause pendante de sa cliente en Ontario.

Un exercice de pondération

Le temps de trancher ce dossier, Amel Benali aurait-elle pu être détenue en Ontario, ce qui aurait potentiellement évité le meurtre de sa mère ? La conclusion des audiences préliminaires laisse croire qu’il n’y avait pas nécessairement de risque pour le public, d’où sa libération sous conditions, rappellent les avocates criminalistes consultées.

« La poursuite et la défense se sont mises d’accord pour des conditions de remise en liberté […]. À mon sens, ça veut dire que la défense n’avait pas de doute sur sa capacité ou sa responsabilité », explique Marie-Hélène Giroux, à la lecture des documents.

Les conditions imposées à Amel Benali après sa mise en liberté à Toronto pouvaient, en effet, sembler « rassurantes », ajoute l’avocate criminaliste Nada Boumeftah.

Qui plus est, « le droit d’être remis en liberté avec un cautionnement raisonnable, c’est reconnu dans la Charte [canadienne des droits et libertés]. C’est un exercice de pondération qu’on doit faire, surtout dans une société avec les délais judiciaires que l’on a », précise MGiroux.

Des questions se posent toutefois pour savoir si Amel Benali ne souffrait pas d’un problème de santé mentale à ce moment. « Beaucoup des crimes récents, dans l’actualité, sont commis en raison de problèmes de santé mentale. C’est quelque chose sur lequel on devrait peut-être être plus à l’affût, plutôt que de durcir le régime de remise en liberté », juge Marie-Hélène Giroux.

« Je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est un exemple où la justice a mal fait son travail, non, tranche toutefois sa collègue, Nada Boumeftah. […] On aimerait bien tout prévoir pour éviter des crimes, mais il y a des limites qui s’imposent, et ça me semble en être un triste exemple. »

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse