Dans son bureau, on remarquait immédiatement la grande photo : le gros plan de deux mains en train d’attacher un patin de hockey.

C’était moins un hommage à ce sport qu’il aimait passionnément qu’une sorte de devise : on entre ici pour travailler fort – mais avec le sourire.

Pierre A. Michaud, une des figures les plus marquantes de la justice au Québec à la fin du XXe siècle, est décédé vendredi. Il avait 86 ans.

Avocat, puis juge et juge en chef adjoint à la Cour supérieure, il avait été nommé en 1994 juge en chef de la Cour d’appel, plus haute cour au Québec.

Obsédé par l’accès à la justice, il ne s’est pas contenté de marteler dans une série de discours et d’entrevues la nécessité de réformer et simplifier ce service public trop coûteux. Chose à peu près inédite pour un magistrat, il a lui-même lancé plusieurs réformes.

« On a un superbe Code de procédure, mais il est fait pour un repas gastronomique, alors que la plupart des gens n’ont besoin que d’un repas rapide », avait-il coutume de dire.

Il avait ni plus ni moins convoqué le ministre de la Justice de l’époque, Paul Bégin, qui partageait ses vues, pour secouer les puces du système.

Il a aussi forcé l’implantation d’un système nouveau et unique de médiation à la Cour d’appel, conçu par la juge Louise Otis.

C’était mon idée, mais sans lui, ça ne serait jamais arrivé. Il y a eu un vote chez les juges et le résultat était 50-50. Plusieurs étaient sceptiques, ou pensaient que les juges perdraient leur autorité. C’est lui qui a tranché. Il disait : “Ça n’a pas d’allure que les gens brûlent leur maison dans un divorce.”

Louise Otis, présidente du tribunal administratif de l’OCDE et du tribunal d’appel de l’OIF

Le modèle a fait des petits, s’est implanté dans toutes les cours, et même à l’international. Encore récemment, le ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti, faisait l’éloge de la médiation dans la justice québécoise.

Il y aurait beaucoup à puiser dans ses anciens discours pour remettre sur ses rails la justice québécoise d’aujourd’hui, dont plusieurs pans sont englués dans les délais. Personne sans doute avant ni après Pierre Michaud n’a assumé avec autant d’enthousiasme le titre honorifique de « juge en chef du Québec ». S’il fallait défendre le travail des juges, il était un joueur d’équipe et montait au créneau. Mais s’il fallait botter des derrières, il ne se gênait pas.

Un associé du temps qu’il était avocat chez Desjardins Ducharme m’a confié un jour que Pierre Michaud avait convoqué le responsable d’une compagnie d’assurances, un client très important de la firme. « La compagnie voulait qu’on fasse quelque chose qui était contre l’éthique. Il avait pris les 600 dossiers de la compagnie et lui avait dit d’aller dans un autre bureau. »

La chose était stupéfiante il y a 50 ans dans un grand bureau, elle est inimaginable aujourd’hui.

Louise Otis, constamment appelée à l’international pour régler des litiges par la médiation, a rencontré son vieux complice récemment avec d’autres juges retraités. Pierre Michaud venait de perdre sa femme, Louise Painchaud, des suites de la COVID-19.

« Il nous a dit : “Vous savez, dans le fond, on est ici pour une seule chose : rendre les autres heureux.” »

Pierre Michaud laisse dans le deuil ses deux fils, Jacques et Jean-François.