Un juge de la Cour du Québec chargé de se pencher sur une chicane de voisins à Beaconsfield se porte à la défense du droit des enfants de jouer dans la rue, dans une décision où le magistrat ne mâche pas ses mots envers la Couronne.

« Peut-être pourraient-ils se demander si la vie de banlieue leur convient », se demande le juge Dennis Galiatsatos à propos de la famille Naccache, qui accusait injustement un voisin père de famille de tous les maux.

Cette chicane de voisins qui a dégénéré a pris naissance dans la petite rue Watford, dans la banlieue ouest de Montréal. Les Naccache avaient bien du mal à accepter que les enfants des voisins jouent dans la paisible rue en demi-lune ou encore dessinent sur la chaussée à la craie.

Cette scène représente pour la plupart des gens « un instantané bienheureux de l’utopie de la banlieue », l’exemple « pacifique, fraternel d’une vie de communauté », indique le juge en verve dans une décision récente rendue en anglais. Or pour les Naccache il s’agissait « d’un affront ».

Pour montrer leur frustration, les membres de la famille ont souvent conduit dangereusement autour des enfants, sans ralentir, ou en passant très près d’eux, écrit le juge.

Michael Naccache et ses parents avaient même installé un total de huit caméras sur leur maison et leurs véhicules pour filmer notamment les enfants qui jouent, ce qu’ils percevaient comme « une nuisance insoutenable ».

Sans surprise, le style de conduite des Naccache a mis en furie des parents qui s’en sont plaints. Ont suivi des discussions animées.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a accepté de se mêler de cette chicane de voisins, mais en se rangeant derrière la famille Naccache.

À force de plaintes à la police, les Naccache ont en effet réussi à convaincre le DPCP de déposer des accusations contre l’un de leurs voisins, l’enseignant Neall Epstein, père de deux fillettes d’alors 2 et 4 ans.

« Offenser n’est pas un crime »

Le juge Dennis Galiatsatos a non seulement acquitté M. Epstein des accusations de harcèlement criminel et d’avoir proféré des menaces de mort, mais se demande comment des accusations ont même pu être déposées.

La Cour aurait envie de jeter ce dossier par la fenêtre. Hélas, les salles du palais de justice de Montréal n’ont pas de fenêtres.

Le juge Dennis Galiatsatos, dans sa décision

Le tribunal n’a pas cru Michael Naccache, 34 ans. Celui qui vivait avec ses parents dans la petite rue Watford jurait que Neall Epstein l’avait menacé de mort en faisant un geste de la main mimant une gorge tranchée le 18 mai 2021.

L’accusé, Neall Epstein, l’a vigoureusement nié. Il a toutefois reconnu qu’il était en furie contre les Naccache à cause de leur conduite dangereuse autour des enfants du voisinage. Il a aussi reconnu avoir fait un doigt d’honneur à Michael.

« Pour être clair au possible, ce n’est pas un crime de faire un doigt d’honneur. Lever le majeur [flipping the bird] est un droit divin, enchâssé par les Chartes, qui appartient à tous les Canadiens au sang chaud [red-blooded]. Ce n’est peut-être pas civil ni poli ou galant », écrit le juge.

« Peu importe, ça n’entraîne pas une responsabilité criminelle. Offenser quelqu’un n’est pas un crime […] Les citoyens doivent être moins sensibles, surtout lorsqu’ils se comportent de manière à entraîner pareille injure [profanity] – par exemple conduire trop vite dans une rue où jouent des enfants innocents. »

« Absurdité »

C’est finalement le droit des enfants de jouer dans la rue que défend le juge. Les Naccache estimaient que puisqu’en banlieue les citoyens ont des cours privées, c’est là que se devaient de jouer les enfants, précise la décision.

« S’ils veulent jouer dans la rue, ils n’ont qu’à déménager au centre-ville, écrit le juge en résumant la pensée de la famille. L’absurdité d’une telle affirmation est évidente. »

Le juge termine en notant qu’au vu de la preuve, c’est plutôt un membre de la famille Naccache qui aurait pu être accusé de conduite dangereuse, d’avoir proféré des menaces ou encore de voies de fait.

Le juge rappelle qu’en plein procès, après le témoignage « professionnel et objectif » du voisin accusé, la Couronne a choisi de ne pas le contre-interroger et a même invité la Cour à l’acquitter. Ce que le juge a fait de bon cœur.