Une éducatrice spécialisée d’une école de l’est de Montréal qui a exploité sexuellement pendant des années une élève vulnérable formait « officiellement » un « couple » avec celle-ci au vu et au su de leur entourage. L’adolescente avait pourtant sonné l’alarme en se confiant à une enseignante de l’école.

« C’était connu. Ça ne s’est pas fait à la dérobade », a résumé MGary Martin, l’avocat de l’accusée, Véronie Campeau, en mêlée de presse. Des documents judiciaires révèlent en effet que de nombreuses personnes, dont la famille de la victime, savaient que l’éducatrice spécialisée avait des contacts sexuels avec l’adolescente.

« Tous ont baissé les yeux pour différentes raisons », indique un rapport policier. Fait très troublant : la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) a même confié la garde de l’adolescente à Véronie Campeau, qui se faisait alors passer pour une « amie de la famille », selon un document judiciaire.

Véronie Campeau a plaidé coupable mercredi, au palais de justice de Montréal, à des chefs d’accusation de contact sexuel sur une mineure de moins de 16 ans, d’incitation à des contacts sexuels et d’exploitation sexuelle. La femme de 41 ans risque une importante peine de prison.

C’est la deuxième fois cette semaine que le centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île fait les manchettes pour des cas troublants d’exploitation sexuelle à l’égard d’élèves. Mardi, un enseignant d’une école primaire relevant de ce même centre, Dominic Blanchette, a reconnu avoir agressé sexuellement cinq filles pendant cinq ans1. Les signaux d’alarme étaient pourtant nombreux.

En plus de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry, Véronie Campeau a travaillé à l’école Félix-Leclerc et à l’école Saint-Marcel, à Pointe-aux-Trembles, en 2019, selon des documents judiciaires. Ces trois écoles relèvent du centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île.

« [Véronie Campeau] a été suspendue de ses fonctions dès que nous avons été informés que des accusations criminelles avaient été déposées à son endroit », a indiqué à La Presse la porte-parole du centre. L’éducatrice a été accusée en avril 2020.

Une première rencontre

Sarah* avait 13 ans en mars 2011 quand elle s’est rendue au bureau de Véronie Campeau, à l’école Antoine-de-Saint-Exupéry, pour demander de l’aide à l’éducatrice spécialisée. La date de cette première rencontre deviendra plus tard leur « anniversaire » de « couple », aux yeux de l’accusée.

Véronie Campeau, alors âgée de 29 ans, a profité de la vulnérabilité de Sarah pour tisser sa toile de prédatrice et l’exploiter pendant des années. De fil en aiguille, Véronie Campeau a gagné la confiance de l’adolescente, attirant ses confidences. Elles ont alors commencé à se voir à l’extérieur de l’école.

Selon les faits admis, Véronie Campeau a eu des contacts sexuels avec Sarah à plusieurs reprises à partir de mai 2011, dont la première fois dans un parc, puis dans un hôtel de Pointe-aux-Trembles. L’accusée a montré à Sarah ce que c’était « faire l’amour ». Elles ont eu des relations sexuelles alors qu’un jeune enfant se trouvait dans la chambre.

« Le lendemain, [Véronie] me dit qu’elle est épanouie par la situation », relate la victime dans sa déclaration aux policiers, déposée à la cour.

Comme « un couple »

Dans un camping des Laurentides, en juin 2011, Véronie Campeau et Sarah se comportent comme « un couple ». Elles boivent de l’alcool, écoutent de la musique, s’embrassent et ont des rapports sexuels, selon les faits admis.

« Elle m’agresse plusieurs fois durant la fin de semaine », tranche la victime dans sa déclaration. Le même scénario se répète pendant l’été 2011, alors qu’elles se voient tous les jours. L’accusée quitte même son conjoint.

Véronie me dit toujours qu’on est en couple et qu’on est amoureuses et qu’elle veut me marier et me faire des enfants. Plusieurs fois, on va dormir dans des petits motels miteux.

Sarah, dans sa déclaration aux policiers

En mars 2012, l’accusée met fin à sa « relation » avec l’adolescente, alors âgée de 14 ans.

Un voyage à Cuba

Véronie Campeau et Sarah renouent toutefois pour former « officiellement un couple » en décembre 2012. En septembre 2013, alors qu’elle est en quatrième secondaire, Sarah est « pratiquement » toujours chez l’éducatrice spécialisée. Elles forment une « vraie famille », selon l’accusée. Elles vont d’ailleurs ensemble à Cuba pendant la semaine de relâche en 2014.

Toujours selon sa déclaration aux policiers, Sarah confie en mai 2014 à une enseignante de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry qu’elle forme un « couple » avec Véronie Campeau. Le document ne précise toutefois pas si l’enseignante a prévenu la direction de l’école.

Sous la « pression » de Véronie Campeau, Sarah emménage « officiellement » chez elle en 2014. En plus d’être submergée par le travail, l’école et les tâches ménagères, Sarah a « très peur » des réactions « agressives » de l’accusée, confie-t-elle dans sa déclaration.

En décembre 2014, Sarah met fin à sa « relation » avec Véronie Campeau, après être tombée amoureuse d’un garçon de son âge. Mais son calvaire ne s’arrête pas là. En janvier 2015, alors en cinquième secondaire, la victime fréquente pendant un mois un employé de 23 ans de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry. Elle lui dit tout sur sa relation passée avec Véronie Campeau.

« Vers le mois de mars, [il] s’est fait prendre et est donc renvoyé de l’école. À ma connaissance, l’école n’a pas informé les autorités ; elle a simplement renvoyé [X] », écrit-elle dans sa déclaration.

La DPJ la confie à sa prédatrice

Puis, en mai 2015, Sarah est placée par la DPJ chez Véronie Campeau. Une relation ambiguë s’installe ensuite pendant plusieurs années, jusqu’à ce que la victime, devenue adulte, coupe définitivement les ponts en décembre 2018. Elle porte plainte en 2019. Dans sa déclaration aux policiers, elle indique que Véronie Campeau travaille alors à l’école primaire Félix-Leclerc.

Les observations sur la peine auront lieu plus tard, durant l’été. La juge a ordonné une évaluation sexologique et la production d’un rapport présentenciel. MKarine Lagacé-Paquette représente le ministère public.

* Nom fictif pour protéger l’identité de la victime

Avec la collaboration de Marie-Eve Morasse, La Presse

1. Lisez « Un enseignant coupable d’avoir agressé sexuellement cinq élèves »